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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/692

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Il écrivit à Tibère Alexandre, répandit dans le camp de Judée l’impatience et la sédition, passa de nouveau en Syrie, où il fit annoncer par Mucien que Vitellius allait rappeler les légions de Syrie pour les envoyer sur le Rhin. Or les soldats, unis aux habitans par des liens de famille et d’amitié, chérissaient ce doux pays comme une seconde patrie.

Bientôt l’incendie éclata. Aux calendes de juillet, Tibère Alexandre proclama Vespasien et lui fit prêter serment par ses soldats. Le 5 des nones du même mois, l’armée de Judée se prononça avec impétuosité, sans être assemblée ni excitée par aucun discours, sans attendre la présence de Titus, qui revenait d’Antioche. Quelques légionnaires, voyant leur général sortir de sa tente, le saluèrent empereur ; des cris s’élevèrent, on accourut, la clameur devint universelle, l’enthousiasme irrésistible ; les épées furent tirées. Vespasien, menacé de mort par ses partisans furieux, accepta enfin les titres de césar et d’auguste que la foule lui décernait. Mucien n’attendait que cette nouvelle. Tout l’Orient l’imita, et les légions d’illyrie, de Mésie, de Pannonie, de Dacie, à la lecture des lettres du nouvel empereur, se précipitèrent sur l’Italie, conduites par Antonius Primus, Gaulois, né à Toulouse, surnommé dans son enfance Bec de Coq, grand discoureur, général plein de feu, téméraire, amoureux du pillage, mêlant les vols et les largesses. Antonius Primus saccagea tout sur son passage, défit les vitelliens, traita Rome en ville conquise, fit mettre à mort Vitellius, ne laissa rien à faire à Mucien si ce n’est de le calomnier, rien à Vespasien si ce n’est de le mettre à l’écart, juste salaire de ceux qui rendent aux princes de tels services.

Les événemens qui remplirent la fin de l’année 69 et le commencement de l’année 70 sont lamentables et ne méritent guère d’être racontés. Les Flaviens ont coûté à Rome des flots de sang et avancé sa démoralisation politique. Le soulagement qu’apporte une tyrannie nouvelle ressemble à la maladie qui chasse une autre maladie ; elle repose, mais elle affaiblit encore le malade. Vespasien avait appris les progrès de ses lieutenans et le supplice de Vitellius par des sénateurs, des chevaliers, des transfuges de tout rang, qui avaient affronté les tempêtes de l’hiver pour lui apporter leur hommage ; chaque galère les déposait sur le môle d’Alexandrie, d’autant plus nombreux que les nouvelles étaient plus favorables. Vespasien était depuis plusieurs mois en Égypte, prêt à affamer Rome, si elle résistait, à occuper l’Afrique, si la guerre était incertaine, à se retrancher dans le royaume des pharaons, admirablement défendu par la nature, si Mucien était vaincu. Titus était avec lui, et savourait le charme tant désiré de la puissance. Il forçait même son