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II

Vespasien avait soixante ans lorsqu’on lui jeta sur les épaules la pourpre et le fardeau des affaires. A cet âge on n’a plus ni les passions, ni l’orgueil, ni la crédulité qui entraînent un novice. Accoutumé à une vie modeste et parfois misérable, il garda le goût de la simplicité. Il n’habitait pas volontiers le Palatin, où le souvenir des splendeurs impériales le gênait : il préférait les jardins de Salluste, qui s’accommodaient mieux à l’aisance d’un particulier. Il ne voulut point de gardes, laissa sa porte ouverte, reçut à toute heure ceux qui se présentaient, abolit l’usage de fouiller quiconque s’approchait de l’empereur, fût-ce une femme, se laissa aborder dans la rue ; en un mot, si ses actes furent d’un maître, ses manières furent celles d’un républicain.

Le nouvel empereur avait la taille carrée, les membres robustes et compactes, une santé excellente qu’il entretenait en se frottant tout le corps avec des mouvemens énergiques et cadencés, et en faisant diète un jour par mois. Son visage semblait contracté par un effort continuel. Ses contemporains qualifiaient fort grossièrement la nature de cet effort et en tiraient des plaisanteries de mauvais goût qu’il faut laisser à son biographe Suétone. Cette expression, ou plutôt cette tension est indiquée sur les monnaies frappées pendant son règne ; elle est rendue plus vivement par la statue et le buste de marbre qu’on voit au Louvre, et qui nous donnent les traits suivans : un front ridé, contracté, labouré par cette apparence d’effort dont parlent les auteurs ; un crâne chauve avec quelques cheveux épargnés sur le sommet et au-dessus de chaque oreille ; une tête ronde, pleine, d’heureuse proportion, qui ne peut contenir que des impressions nettes et un cerveau sain ; l’oreille plaquée, jolie, bien ourlée ; des yeux enfoncés dans leur orbite, attentifs, marqués au coin de rides narquoises qu’on retrouve aux yeux d’Henri IV ; le nez gros, tirant vers l’aquilin ; les pommettes hautes, le menton pointu, accusé, avec cette nuance de bouffonnerie dont les Italiens ont fait un type (Pulcinella) ; la bouche souriante, sceptique, crispée, sans que cette crispation aille au-delà de la malice et nuise à un air de bonté. La physionomie générale est la bonhomie et l’égalité d’humeur dans une contention perpétuelle, l’habitude de la ruse et de l’application tempérée par un naturel heureux, l’exactitude d’un travailleur et la pénétration d’un homme d’esprit qui raille les hommes autant qu’il s’en défie, une régularité de fonctionnaire unie à la cupidité d’un spéculateur, un grand sens avec une pointe