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énergiquement ce système, qui fut au fond sa véritable politique pendant tout le temps que vécut Vespasien. Couvert par la responsabilité paternelle, il put être impunément âpre, cruel, sans scrupules. Sa rigueur compensait la clémence de l’empereur et la faisait valoir. Il concentra le pouvoir entre ses mains avec l’assentiment de son père, afin d’occuper d’avance d’une manière irrésistible l’héritage qu’il aurait fallu plus tard ou obtenir des sénateurs ou acheter aux soldats. Il fortifiait sa propriété, et prenait si bien possession de l’empire que la pensée ne pouvait venir à personne de le lui contester. Il avait la haute main partout, dirigeait les ministères (officia), dictait les lettres au nom de son père, apposait sa signature sur les édits à côté de la signature de son père, lisait ses discours dans le sénat à la place du questeur. Consul chaque année, censeur quand cela était opportun, tribun et pontife à perpétuité, césar, imperator, il avait tous les droits, c’est-à-dire toutes les fictions légales dont Auguste avait, orné sa dictature. Cela ne lui suffit pas : il voulut disposer seul d’une force aveugle qui avait été l’instrument de tous les caprices des tyrans, et d’où ils avaient tiré autant de bourreaux que de défenseurs. La garde prétorienne avait été commandée jusque-là par de simples chevaliers : Titus s’attribua ce commandement et en abusa pour commettre les meurtres qu’il jugea nécessaires. La délation était un moyen usé et les procès une vengeance trop lente. Le nouveau chef des prétoriens se servit d’un moyen plus expéditif pour faire disparaître tous ceux qui lui étaient suspects. Il se faisait demander leur tête par des agens apostés soit dans le camp, soit dans le théâtre. Aussitôt, pour accomplir ce qu’il appelait la volonté du peuple, il mettait à mort ceux que les clameurs lui désignaient[1]. Il invita même à souper chez lui Aulus Cécina, le traita avec magnificence, et attendit à peine qu’il fût sorti de sa table pour le faire égorger. Il est vrai que, pour justifier ce crime, il montra plus tard un plan de conspiration de la main de Cécina, qu’il avait saisi, disait-il, sur des soldats ses complices ; mais ceux qui savaient avec quel talent Titus contrefaisait toutes les écritures, ou qui l’entendaient s’en vanter, ne furent point pour cela persuadés des intentions coupables de Cécina. Une poursuite régulière et une enquête devant le sénat auraient mieux établi la solidité des preuves qu’un assassinat précipité. Les soupçons dont Aurélius Victor s’est fait l’écho furent le seul fruit de cette honteuse affaire.

Violent et féroce pour son compte, Titus s’efforçait de tromper la clémence de son père dans les causes régulièrement instruites, et

  1. Suétone, Vie de Titus, VI.