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précédé, tout devait paraître innocent aux Romains. Il fit commerce des charges et des faveurs, fit payer les solliciteurs qui voulaient parvenir jusqu’à l’oreille de l’empereur, et, comme le champ ouvert à ses rapines était l’univers, il se forma bientôt un trésor qui devait s’ajouter à celui de son père. En même temps il se livrait à des débauches dont l’empereur Julien flétrissait le souvenir ; il s’entourait d’eunuques et d’hommes infâmes ; il invitait les Romains les plus dissolus à des orgies qui duraient jusqu’au milieu de la nuit, et que ne contrariait point sa liaison avec Bérénice. La cruauté, la soif de l’or, le goût des plaisirs, vont d’ordinaire de compagnie, et s’ouvrent du même coup le cœur des puissans. Titus n’échappa point à cette règle : il fut sanguinaire, avide et voluptueux ; il le fut ouvertement, sans fausse honte, comme s’il remplissait un des devoirs de sa situation. Il se serait étudié à se rendre odieux qu’il n’aurait pas mieux réussi. Autant Vespasien était aimé, autant son fils était craint. Tout tremblait devant lui ; personne n’eût osé affronter sa colère ou sa vengeance, aussi rapide que sa colère. On pliait d’avance sous sa domination, et l’on se faisait à l’idée d’obéir un jour à lui seul ; mais que de vœux pour que les jours du doux Vespasien fussent prolongés ! On était persuadé et l’on disait tout haut que Titus serait « un nouveau Néron[1]. » Jamais héritier présomptif ne fut plus maître du pouvoir et plus exécré de ses futurs sujets. Quand son père mourut, il ne monta pas sur le trône, il y resta ; on ne sentit ni secousse ni transition. L’histoire ne mentionne même pas les cérémonies de son avènement ; elle ne constate que la mort de Vespasien. Épuisé par la dyssenterie et la fièvre, l’estomac ruiné par l’eau froide, le vieil empereur, qui travaillait encore à son lit de mort, voulut se lever pour expirer, modèle jusqu’au bout de l’administrateur actif et du bon fonctionnaire. La réputation de Titus était alors si détestable que l’empereur Hadrien, dans ses mémoires[2], a pu l’accuser d’avoir empoisonné son père, et que Domitien a pu lui reprocher hautement d’avoir falsifié son testament. Les plaintes de Domitien ne méritent d’attention que parce qu’elles montrent pour la troisième fois Titus compromis par son talent de faussaire. L’accusation d’Hadrien est plus grave ; en principe, on peut tout admettre contre les césars, surtout quand ils se chargent les uns les autres : un crime leur rapportait tant et leur coûtait si peu ! Cependant Hadrien était jaloux, il aimait à dénigrer ; quoique son témoignage soit confirmé par d’autres témoignages[3], on hésite à l’écouter. L’ambition de Titus était satisfaite : quel

  1. « Alium Neronem et opinabantur et prædicabant. » (Suétono, Vie de Titus, VII.)
  2. Dion Cassius, LXVI, 17.
  3. Dion Cassius le dit expressément dans ce même passage.