Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’homme arrive à former psychologiquement un règne à part dans l’ordre des êtres animés ? Recueillant précieusement les témoignages des historiens et des voyageurs, il en déduit que l’homme n’a en réalité que deux caractères qui le distinguent spécialement de l’animal, et il aboutit à cette définition : « l’homme est un animal moral et religieux. » Telles semblent être en effet, à première vue, les seules propriétés que l’homme n’ait point en partage avec les animaux, lesquels ont comme lui la sensibilité, l’intelligence, l’activité volontaire. Il est difficile de refuser à l’animal un certain degré de sentiment quand on voit le chien attaché à son maître au point de souffrir de son abandon et de son indifférence, au point même de mourir parfois d’inanition volontaire devant son cadavre. On ne peut guère davantage lui contester une certaine manière, sinon de raisonner, du moins d’associer ses impressions, quand on voit les animaux chasseurs subordonner les impulsions de l’instinct aux nécessités de la chasse, et exécuter des combinaisons de mouvemens, des artifices de stratégie qui ne sont pas sans analogie avec les ruses du sauvage et même du civilisé dans la poursuite du gibier ou de l’ennemi, quand on observe que les animaux, même d’un ordre inférieur, comme la fourmi et l’araignée, modifient à chaque instant leur itinéraire ou leur plan de conduite selon les convenances du moment ou les obstacles qui se dressent tout à coup devant eux. On ne peut nier non plus l’instinct de sociabilité des animaux quand on les voit, non-seulement se réunir et s’associer accidentellement pour la chasse et la guerre, comme les loups, mais encore vivre en communauté, former des sortes de républiques, comme les abeilles, les fourmis et les castors. Enfin il n’est pas jusqu’au langage qui ne semble commun à l’homme et à l’animal, car on peut voir les animaux s’entendre et se concerter par des signes dont le sens se devine aux mouvemens qui les suivent.

Si les animaux sentent, imaginent, se souviennent, raisonnent, agissent spontanément et volontairement, s’associent, parlent comme l’homme, où trouver les véritables caractères distinctifs de la nature humaine, sinon dans les faits qui sont reconnus lui être absolument propres ? Or aucune espèce d’observation ne découvre dans la vie des animaux, même des animaux qui vivent en société, rien qui ressemble à ce que dans toute langue humaine on nomme morale et religion. Leur terreur, quand ils en ressentent sous l’impression des phénomènes de la nature, n’a aucun caractère religieux. C’est une sensation de crainte sans le moindre mélange de respect, d’adoration pour un être dont ils reconnaîtraient la supériorité de puissance, d’intelligence ou de bonté. D’autre part, leur aptitude à l’éducation et à la discipline, leur perfectibilité réelle n’offre aucun