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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/728

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mobiles internes[1]. » Stuart Mill en appelle, avec toute l’école qui nie le libre arbitre, à l’observation que chacun de nous fait de ses propres volitions aussi bien que des actions volontaires de ceux avec qui nous sommes en contact. Il invoque la possibilité de prévoir ces actions avec un degré d’exactitude proportionné à notre connaissance préalable de l’esprit et du caractère des agens, et souvent avec une certitude presque égale à celle qui s’attache à la prévision des mouvemens des agens purement physiques. Il en appelle enfin aux relevés statistiques, portant sur des nombres assez grands pour éliminer les influences particulières et pour laisser le résultat à peu près tel que si les volitions de la masse entière n’avaient été affectées que par celles des causes déterminantes qui furent communes à tous.

Voilà la méthode, la théorie, les conclusions de l’école psychologique qui se personnifie surtout dans les noms de Stuart Mill, d’Alexandre Bain, de E. Littré. La méthode consiste à étudier l’homme dans la succession des phénomènes de la vie morale et à en dégager les lois, abstraction faite des causes, dont cette école n’entend s’occuper en aucune façon. La théorie qui est le produit nécessaire d’une telle méthode est l’explication de tous les phénomènes moraux par une association de faits ou d’idées, tantôt une association de faits organiques et psychiques, tantôt une association de faits purement psychiques. Les conclusions peuvent se résumer, en trois thèses capitales : 1° négation de tout a priori dans le domaine de l’entendement ; 2° négation de toute innéité affective dans le domaine de la sensibilité ; 3° négation de toute spontanéité libre dans le domaine de la volonté. Toute espèce de rapport entre les phénomènes se réduit à un rapport de succession ou de concomitance. A part un très petit nombre de facultés élémentaires et de faits vraiment primitifs qui sont le point de départ de la vie morale, tout s’explique par l’habitude, et l’école psychologique dont on vient de parler pourrait prendre pour devise ce vers si connu :

La nature, crois-moi, n’est rien que l’habitude.


À ne considérer que les conclusions de cette école, on serait tenté de regretter que la psychologie de notre temps ait abandonné la voie de la conscience, qui a toujours été celle des grandes révélations, pour s’engager dans la voie laborieuse et obscure de l’expérience proprement dite ; mais ce serait mal apprécier la valeur d’une méthode féconde en résultats positifs ; ce serait méconnaître les

  1. An Examination of sir William Hamilton’s philosophy, p. 500.