Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses chevaux nous paraîtrait un insensé. Sommes-nous plus sages quand nous pouvons montrer en Orient des journées d’hôpital à 2 francs 60 cent, avec une perte de 26 pour 100 sur le nombre des malades, tandis que les Anglais, avec des journées de 4 francs 80 cent., ne perdent que 13 pour 100 de leurs hommes ? De quel côté est la véritable économie ?

Prenez-vous-en au pays, dira-t-on, qui ne veut pas payer trop de dépenses. — Je réponds que le pays ne connaît pas le fond des choses. Dites à la nation toute la vérité, demandez largement tout ce dont vous avez besoin ; quelle que soit la somme, vous l’aurez. Ce que la France repousse, ce sont les gros contingens et les dépenses inutiles ; mais assurément elle n’entend pas qu’on sacrifie la vie de ses enfans pour ne pas grossir un chiffre du budget. Éclairez donc l’opinion, elle vous soutiendra ; il n’y a pas de député qui puisse vous refuser l’argent nécessaire pour donner à nos soldats les soins auxquels ils ont droit.

Si le goût de l’économie, poussé à l’excès, nous a égarés, la passion de l’unité ne nous a pas été moins funeste. Assurément, si l’unité a le droit de régner quelque part, c’est à la guerre. Ce qui fait non-seulement le succès, mais le salut d’une armée, c’est l’unité de commandement et d’action. Il faut qu’une volonté unique et partout présente dirige ce grand corps ; mais cette unité, on le sent bien, n’est pas chose mécanique, ce doit être une harmonie. On sait comment l’armée française est organisée en guerre. En tête est le général, qui prévoit, qui ordonne, qui tient tous les fils dans sa main. Auprès de lui, au grand quartier-général, sont les chefs de l’infanterie, de la cavalerie, du génie, de l’artillerie. Cet ensemble, on le nomme d’un mot, le commandement. Ce n’est pas tout cependant que d’aligner des troupes un jour de bataille ; il faut, durant toute la guerre, les nourrir, les habiller, les coucher, les transporter, les solder. A l’heure du combat, il faut relever les blessés, les mener à l’ambulance et les soigner. Si une épidémie éclate, il faut ouvrir des hôpitaux pour les malades. Il faut enfin contrôler toutes les dépenses pour éviter les vols et les abus. A côté de l’armée qui se bat, il y a donc une seconde armée qui ne se bat pas, et dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle l’administration ; mais, à la différence du commandement, les divers services de l’administration n’ont point chacun un chef particulier qui travaille directement avec le général. L’administration se personnifie dans un seul homme, l’intendant en chef. Approvisionnemens, transports, argent, ambulances, hôpitaux, contrôle, tout est dans sa main. Lui seul voit le général, lui seul reçoit directement les instructions et les ordres ; il dirige tout, il est responsable de tout.