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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/861

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et d’approvisionnement des hôpitaux et des ambulances, suffisent à toute l’activité du corps si distingué de l’intendance, et qu’il lui est impossible de cumuler utilement avec ces attributions si difficiles et si complexes la direction du service de santé et le commandement du corps spécial qui en a la conception et l’exécution professionnelle[1]. »

Quel est le remède ? Il est indiqué par l’expérience ; il ressort de la cruelle leçon que les événemens nous ont infligée. Puisque la subordination et l’impuissance des médecins les ont empêchés de prévenir des fléaux qu’on pouvait aisément conjurer, il faut faire cesser cette impuissance et cette condition subalterne ; il faut que la médecine militaire devienne un service distinct et qu’elle ait son représentant au grand-quartier-général. Il faut qu’il y ait un corps de médecine et d’hygiène comme il y a un corps d’artillerie et un corps du génie. « Il n’est pas difficile de conduire les troupes au feu, mais bien de les faire vivre et de les conserver, » a dit avec raison le maréchal Bugeaud. Pourquoi le service qui a pour objet de conserver et de faire durer le soldat n’aurait-il pas une organisation indépendante et des chefs admis à travailler directement avec le commandant de l’armée ? Est-ce qu’un avis donné à propos sur la nature du terrain, des eaux, de l’alimentation, ne peut pas sauver la vie ou la santé de milliers d’hommes, et contribuer à la victoire tout autant que les sages conseils d’un chef d’artillerie ?

C’est une innovation, dirent les administrateurs de la vieille école, ces prétendus sages qui tournent le dos au progrès et ne regardent que le passé. Cela ne s’est fait ni sous la révolution ni sous le premier empire, et cependant nous avons vaincu toute l’Europe. Non, sans doute, cela ne s’est fait ni sous la révolution ni sous l’empire ; mais combien de milliers d’hommes n’ont-ils pas payé de leur vie l’ignorance et l’incurie de leurs chefs ? Qu’on songe au typhus de Mayence et à ces épidémies formidables qui suivaient les armées et dévoraient les populations. Si l’on avait la statistique médicale de 1792 à 1815 on reculerait d’horreur. Aujourd’hui il est né une science nouvelle, l’hygiène, qui prévient aisément des maladies que la médecine est impuissante à guérir. Si cette science de la santé est à sa place quelque part, c’est au milieu de ces rassemblemens d’hommes qui forment les armées. On ne se fera jamais une trop haute idée des services qu’elle peut rendre aux troupes en campagne, de l’influence décisive qu’elle peut avoir sur l’issue de la guerre. Les maladies tuent dix fois plus d’hommes que le fer et le plomb. On calcule qu’en Crimée il y a eu 30,000 Russes tués par l’ennemi, et qu’il en est mort 600,000 de maladie et de

  1. Statistique de la campagne d’Italie, t. Ier, p. 735.