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volution, non comme l’héritière par substitution d’une légitimité. Un nouveau parti républicain, se rattachant à quelques vieux patriarches survivants de 1793, parvint à se reformer. Ce parti, qui avait joué un rôle considérable dans la bataille de juillet 1830, mais qui dès lors n’avait pu faire prévaloir ses idées théoriques absolues, ne cessa de battre en brèche le gouvernement nouveau. Le changement de 1688 en Angleterre n’avait rien eu de révolutionnaire, dans le sens où nous entendons ce mot; ce changement ne se fit point par le peuple; il ne viola aucun droit, si ce n’est celui du roi détrôné. Chez nous au contraire, 1830 déchaîna des forces anarchiques et humilia profondément le parti légitimiste. Ce parti, renfermant à quelques égards les portions les plus solides et les plus morales du pays, fit une cruelle guerre à la dynastie nouvelle, soit par son abstention, en l’empêchant de s’asseoir sur la seule base qui fonde une dynastie, l’élément lourdement conservateur, — soit par sa connivence avec le parti républicain. De la sorte, le gouvernement de la maison d’Orléans ne put se fonder sérieusement ; un souffle le renversa. On avait tout pardonné à Guillaume III; on ne pardonna rien à Louis-Philippe. Le principe royaliste fut assez fort en Angleterre pour subir une transformation; il ne le fut pas en France. Certainement, si le parti républicain avait eu en Angleterre sous Guillaume III l’importance qu’il eut en France sous Louis-Philippe, si ce parti avait eu l’appui de la faction des Stuarts, l’établissement constitutionnel de l’Angleterre n’eût pas duré. En cela, l’Angleterre bénéficia d’un avantage énorme qu’elle possède, son aptitude colonisatrice. L’Amérique fut le déversoir du parti républicain; sans cela, ce parti fut resté comme un virus dans la mère-patrie, et eût empêché l’établissement constitutionnel. Rien ne se perd dans le monde de ce qui est fort et sincère. Ces exilés républicains furent les pères de ceux qui firent la guerre de l’indépendance à la fin du XVIIIe siècle. L’élément révolutionnaire en Angleterre, au lieu d’être un dissolvant, fut de la sorte créateur; le radicalisme anglais, au lieu de déchirer la mère-patrie, fit l’Amérique, Si la France eût été colonisatrice au lieu d’être militaire, si l’élément hardi et entreprenant qui ailleurs colonise était capable chez nous d’autre chose que de conspirer et de se battre pour des principes abstraits, nous n’aurions pas eu Napoléon ; le parti républicain, chassé par la réaction, eût émigré vers 1798 et eût fondé au loin une Nouvelle-France, qui, selon la loi des colonies, serait maintenant sans doute une république séparée. Malheureusement nos discordes civiles n’aboutirent qu’à des déportations. Au lieu des États-Unis, nous avons eu Sinnamary et Lambèse! Pendant que, dans ces tristes séjours, des colons déplorables mouraient, s’échappaient comme des forçats, atten-