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obligé de la grosse caisse. Une sorte de collerette à plusieurs rangs, qui dessinait des demi-cercles sur la poitrine et dont les pointes se relevaient jusqu’aux oreilles, faisait ressembler sa majesté au classique Polichinelle. Le roi est un jeune homme de vingt ans auquel on ne paraît laisser aucune initiative ; un mandarin interroge et répond pour lui. Il a été placé sur le trône par la volonté de l’empereur des Birmans ; il porte en sautoir ces chaînettes d’or, insignes honorifiques si recherchés des seigneurs birmans, et dont le major Burney, premier résident anglais à la cour d’Ava, fut gratifié lui-même. La question de notre départ fut traitée et tranchée favorablement. Nous quittâmes le palais comme nous y étions entrés, au son de la musique. — L’orchestre se composait d’une guitare et d’une voix nasillarde. — Une forte averse avait dissipé les troupes royales ; l’artillerie seule était encore à son poste, trois pierriers chinois fichés en terre verticalement et chargés jusqu’à la gueule nous saluèrent au passage.

La ville de Sien-Hong, qui en bali s’appelle Halévi, porte encore le nom de Sip-Song-Pana. À cette dernière qualification se rattache l’idée d’une sorte de dodécarchie dont elle est le centre et que nous avons vu commencer à Muong-Long. Les maisons, très espacées, ont toutes un chétif aspect, et.donnent l’idée d’un vaste campement provisoire. Les guerres ont désolé ce pays, ruiné plusieurs fois la ville, et les habitans se sont à chaque nouvelle catastrophe groupés sur un autre point de la plaine. A cela tient la différence de deux minutes environ qui existe entre la latitude de Sien-Hong, donnée par Mac-Leod en 1836, et celle qui a été déterminée par l’expédition de M. de Lagrée en 1867. Il reste de l’ancienne ville, à 6 kilomètres de l’emplacement actuel, des briques grises éparses dans les hautes herbes, non loin du Nam-Tap, affluent du Mékong, et un reste d’enceinte en briques séparée par un ravin d’une élégante pagode bien conservée. Une fine guirlande de bois sculpté court au-dessous d’une corniche supportée par des colonnes ; entre celles-ci, on aménage des fenêtres larges et gracieuses qui inondent de lumière l’intérieur de l’édifice.

Le Mékong, qui coule au bas de la ville de Sien-Hong, nous porte une dernière fois sur ses eaux, et nous mettons pied à terre sur la rive gauche du fleuve, sur laquelle nous n’ avions pas abordé depuis Luang-Praban. Nous entrons dans un des pays les plus accidentés du monde, et les premières montagnes que nous avons à gravir se rattachent aux contreforts que projette l’Himalaya à travers le Yunan. Les indigènes nous regardent avec un mélange de défiance et de curiosité. Nous ne trouvons pour transporter nos bagages que des hommes malades, affaiblis, pris au hasard dans ce troupeau