Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une autre raison encore établit que, si la France est condamnée à une fatale alternative d’anarchie et de despotisme, sa perte est inévitable. On ne sort de l’anarchie que par un grand état militaire, lequel, outre qu’il ruine et épuise la nation, ne peut conserver son ascendant sur la nation qu’à la condition d’être toujours victorieux à l’étranger. Le régime de compression militaire à l’intérieur amène nécessairement la guerre étrangère; une armée vaincue et humiliée ne peut comprimer énergiquement. Or, dans l’état actuel de l’Europe, une nation condamnée à faire par système la guerre à l’extérieur est une nation perdue. Cette nation provoquera sans cesse contre elle des coalitions et des invasions. Voilà comment l’état instable du gouvernement intérieur de la France constitue pour elle un danger au dehors, et fait d’elle une nation guerrière, bien que l’opinion générale y soit très pacifique. L’équilibre de l’Europe exige que toutes les nations qui la composent aient à peu près la même constitution politique. Un ebrius inter sobrios ne saurait être toléré dans ce concert.

De toutes parts, on arrive donc à cette conséquence, que la France doit entrer sans retard dans la voie du gouvernement représentatif. Une question préalable se poserait ici : l’empereur Napoléon III se résignera-t-il à ce changement de rôle? Modifiera-t-il à ce point un programme qui est pour lui non un simple calcul d’ambition, mais une foi, un enthousiasme, la croyance qui explique toute sa vie? Après avoir aimé jusqu’au fanatisme un idéal qu’il tient pour le seul noble et grand, mais dont la France n’a pas voulu, n’éprouvera-t-il pas un invincible dégoût pour ce régime de paix, d’économie, de petites batailles ministérielles qui s’est toujours présenté à lui comme une image de décadence, et qu’il associe au souvenir d’une dynastie tenue de lui en peu d’estime? Sortira-t-il de ce cercle de conseillers et de ministres médiocres où il paraît se complaire? Le souverain investi par plébiscite de la plénitude des droits populaires peut-il être parlementaire? Le plébiscite n’est-il pas la négation de la monarchie constitutionnelle? Un tel gouvernement est-il jamais sorti d’un coup d’état? peut-il exister avec le suffrage universel? Le respect dû à la personne du souverain nous interdit d’examiner ces questions. Le caractère de l’empereur Napoléon III est d’ailleurs un problème sur lequel, même quand on possédera des données que personne maintenant ne peut avoir, on fera bien de s’exprimer avec beaucoup de précautions. Il y aura peu de sujets historiques où il sera plus important d’user de retouches, et si dans cinquante ans il n’y a pas mi critique aussi profond que M. Sainte-Beuve, aussi consciencieux, aussi attentif à ne pas effacer les contradictions et à les expliquer, l’empereur Napoléon III ne sera jamais