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LA GUERRE DU PARAGUAY.

sorti à l’est de la cordillère paraguayenne, se jette dans le Paraguay après avoir longé le pied des montagnes au sein desquelles se trouve le territoire cultivable et habité. La superficie de ce quadrilatère peut être évaluée à un millier de lieues carrées et même plus, équivalant à plusieurs de nos départemens. C’est une solitude complète : ni villages, ni habitations, ni habitans ; à peine dans la saison sèche quelques rares troupeaux viennent brouter l’herbe des terrains, ou, pour mieux dire, des vases momentanément abandonnées par les eaux. C’est plus triste, plus désolé et plus insalubre que les maremmes de la Toscane ou de la campagne de Rome ; on n’y rencontre même pas de ruines pour éveiller quelque intérêt dans l’âme du voyageur. Deux ou trois hauteurs s’élèvent à peine au-dessus de la surface plate du pays ; rien que des lacs et des étangs, et d’immenses marais que l’on appelle tantôt esteros et tantôt carrisals selon la végétation qui les a envahis, selon qu’ils émergent plus ou moins pendant la saison sèche. Au contraire, pendant la saison des hautes eaux et des pluies équatoriales, les deux grands fleuves qui enserrent ce territoire l’inondent presque complètement. Accourant du nord et chargés de tous les tributs que leur versent d’innombrables affluens, ils franchissent leurs bords et se précipitent avec une violence extrême et par cent brèches différentes dans ces terrains bas qu’ils ravinent et bouleversent. Toutefois en se combattant et se résistant mutuellement, aidés d’ailleurs par le travail de la végétation qui s’empare des dépôts charriés par eux, ces cours d’eau ont fini par former avec la suite des âges des renflemens de terrains et comme des digues naturelles, sur lesquels ont poussé de loin en loin quelques rares pieds d’arbres qui servent de points de repère au voyageur, et varient seuls la monotone perspective de ces solitudes.

Le système défensif de cette plaine, que les circonstances locales rendaient déjà si difficile à envahir, s’appuyait sur divers ouvrages de fortification. Sachant que le Paraguay offrait la seule route par laquelle ou pût essayer de tourner la position formidable qui couvrait le haut pays, c’était sur ce fleuve que le maréchal Lopez avait disposé ses moyens de défense artificielle, dans des lieux bien choisis : Curupaity et Humayta.

Curupaity, que l’on rencontre d’abord à 5 ou 6 lieues en amont du confluent des fleuves, est un ouvrage régulier qui présentait en batterie sur ses remparts une cinquantaine de pièces de canon. Construit sur une rive escarpée et continuellement minée par le courant, il était impossible à prendre d’escalade, et il n’y avait pas à songer à le réduire avec des navires, même cuirassés. Du côté de la terre, il était complètement à l’abri d’un coup de main, ainsi que les alliés l’apprirent plus tard à leurs dépens. Toutefois on ne