Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/1012

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1006
REVUE DES DEUX MONDES.

devait le considérer que comme un ouvrage avancé qui couvrait les approches de Humayta, situé à 2 lieues plus au nord en ligne directe, mais à une distance plus que double par la route du fleuve. Humayta était la clé de tout le système, et l’on n’avait rien épargné pour en faire un établissement des plus importans. Construite sur une berge et élevée d’une dizaine de mètres au-dessus du niveau de l’eau, sur un coude du fleuve, cette place affectait la forme d’un fer à cheval qui se présenterait du côté de sa partie concave, de sorte que toutes les batteries établies sur cette concavité pouvaient concentrer sur un point unique les feux des cent pièces de canon qui armaient les remparts. La rapidité du courant et l’étroitesse du chenal navigable, qui en cet endroit n’excède pas 300 mètres, ajoutaient encore à la force de la position. Pour compléter enfin tous les moyens de défense accumulés de ce côté, le lit du fleuve était semé de torpilles, il était barré d’une rive à l’autre avec des chaînes et des estacades flottantes derrière lesquelles se tenaient, tout prêts à s’élancer sur l’ennemi, des brûlots, des chatas ou radeaux portant de l’artillerie, etc.

Le sommet de cette partie de la berge sur laquelle s’élève Humayta se développa sur une longueur de plus de 2,000 mètres, et confine par ses deux extrémités nord et sud à des carrisals ou marais qui sont en communication avec le fleuve pendant la saison des hautes eaux. Du côté de la terre, c’est-à-dire vers l’intérieur, cette élévation de la berge s’étend sur une superficie profonde d’environ 4, 000 mètres sur 2,000 de large ; au-delà, on ne trouve plus que des marécages et des rivières. L’eau en a été utilisée pour remplir les fossés des retranchemens qui entourent complètement toute la position et se développent avec leurs redans, leurs rentrans et leurs saillans sur une longueur de 13 ou 14 kilomètres. À l’intérieur de ces ouvrages se trouvent les casernes, les hôpitaux, l’église, les magasins, les bâtimens d’administration, qui ont été préparés pour contenir une garnison ou plutôt une armée d’une vingtaine de mille hommes. D’ailleurs, au nord comme au sud, en amont comme en aval du fleuve, ou ne peut trouver qu’à plusieurs lieues d’Humayta des points sur lesquels il serait possible de tenter un débarquement, mais un débarquement, qui, vu la nature du pays, ne mènerait à rien. La seule direction par laquelle on puisse en approcher, c’est par l’est, par les terrains détrempés de la plaine que nous avons décrite, et encore, pour se couvrir de ce côté, les Paraguayens avaient construit deux forts détachés, Tuyucué et Tayi ou Establicimiento, dont il fallait s’emparer avant de pouvoir se porter sur Humayta.

Quoiqu’il eût été obligé de se replier et de rentrer sur son territoire, on comprend aisément que le maréchal Lopez dut attendre les alliés avec confiance dans des positions aussi redoutables. Il les