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LA GUERRE DU PARAGUAY.

sous les remparts de Curupaity sans qu’il en résultât pour elle aucune avarie sérieuse. Le problème était résolu : tout le système de défense inventé par le maréchal Lopez et poursuivi avec de si grandes dépenses d’hommes et d’argent était ou allait être tourné, pris à revers, réduit à l’impuissance.

Le rôle extraordinaire et presque imprévu que les bâtimens cuirassés ont ainsi joué dans cette guerre, non par le fait de leur puissance offensive, mais par l’unique condition de leur invulnérabilité, mérite les réflexions de tous ceux qui s’occupent d’études militaires. Quant à l’artillerie, pour le dire en passant, elle ne réussit pas mieux que les torpilles. Les deux armées étaient cependant pourvues, et en abondance, de modèles de toutes les pièces qui ont été inventées dans ces derniers temps en Europe ou en Amérique, et elles en firent un grand usage, car les consommations de munitions furent immenses, ainsi qu’il est ordinaire de la part de jeunes troupes. Néanmoins les résultats furent uniformément très médiocres. Si les navires légèrement cuirassés des Brésiliens n’eurent pour ainsi dire pas à en souffrir, les fortifications des Paraguayens ne furent, en revanche, que très faiblement entamées. Lorsque Humayta se rendit, il aurait dû avoir reçu quinze ou vingt mille projectiles des plus gros calibres, et c’était à peine s’il en portait quelques traces sérieuses. Le fait s’explique en partie, puisque la place ne fut jamais bombardée qu’à de longues distances ; mais cela ne suffit pas pour rendre compte du peu d’efficacité de toute cette artillerie, surtout quand on se rappelle qu’à Curupaity, à Humayta, à Angostura, les canonnières blindées des Brésiliens passèrent presque impunément et presque à bout portant devant des canons de très fort calibre. Il n’y eut en réalité d’efficaces dans cette guerre que les pièces de campagne employées, non contre les obstacles matériels, mais contre les bataillons.

Cependant les alliés cheminaient sur leur droite, mais lentement à cause des difficultés du terrain et de l’obligation où ils étaient de repousser les sorties que les Paraguayens faisaient presque chaque jour. Aussi ne fut-ce qu’après trois mois de travaux et de combats qu’ayant encore emporté sur leur route Establicimiento, ils arrivèrent jusque sur le Paraguay en un point nommé Tayi, situé sur la rive droite du (leuve, en amont de Humayta. La distance qu’ils avaient parcourue depuis Tuyuti dans cette marche laborieuse était tout au plus de 35 kilomètres ; mais, dès le jour de son arrivée à Tayi, le 2 novembre, le général brésilien Menna-Barreto montra quelle était l’importance du mouvement qu’il venait d’accomplir en canonnant deux vapeurs paraguayens qui descendaient le fleuve, traînant à la remorque des bateaux chargés de matériel à destination