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de Humayta. Les communications de l’armée paraguayenne étaient donc, sinon coupées, au moins très menacées. Du reste, il en coûtait cher aux alliés pour occuper ce point, si important qu’il fût. Le prix de transport d’un boulet de 150 de Tuyuti à Tayi revenait à 65 francs, celui d’une tonne de charbon à 825 francs, et le reste à l’avenant.

Lopez ne se méprit pas sur les dangers de sa position. Aussi, dès le lendemain du jour où les 6,000 Brésiliens du général Barreto s’étaient établis à Tayi, il dirigea des lignes qu’il occupait toujours en présence de l’ennemi une sortie en masse sur le camp de Tuyuti. L’idée était certainement juste, et, si elle avait pu se réaliser, elle aurait sans doute forcé les 25,000 ou 30,000 hommes que les alliés avaient répandus dans la plaine à se replier sur leur base d’opération ; mais, pour réussir, il aurait fallu avoir plus de monde que le maréchal Lopez n’en put réunir : 8,000 hommes seulement. Les Paraguayens cependant se lancèrent à l’attaque avec leur impétuosité et leur bravoure habituelles, ils escaladèrent sur quelques points les parapets du camp ; ils prétendent même qu’ils l’eussent probablement emporté ou incendié, si leurs soldats, excités par la misère, ne se fussent débandés pour piller les magasins de l’ennemi. Ce qui est certain, c’est qu’au bruit de cette attaque la garnison de Tuyucué s’élança de sa position à son tour, et, prenant les Paraguayens en flanc, les força de rentrer dans leurs lignes après avoir encore perdu plus de 2,000 des leurs.

Ses troupes ayant rapporté du butin et trois drapeaux enlevés sur les parapets des ouvrages ennemis, Lopez fit proclamer pompeusement par tout le Paraguay qu’il avait obtenu une éclatante victoire. Il savait bien cependant que c’était un échec, et qu’au lieu de forcer ses adversaires à se concentrer, comme il l’avait espéré, c’était lui qui était maintenant contraint de le faire. En effet, il donna l’ordre d’évacuer sa première ligne de défense et de faire refluer sur Humayta la plus grande partie de son immense matériel d’artillerie (plus de cent cinquante pièces). Les Paraguayens purent procéder à cette opération sans être troublés par les alliés, qui de leur côté employèrent tranquillement les trois mois qui suivirent à se fortifier dans leurs camps, à diriger des approvisionnemens de tout genre sur l’importante position de Tayi. On aurait pu croire à une trêve tacite entre les deux armées sans les incessantes canonnades auxquelles elles se livraient sur tous les points du vaste théâtre qu’elles occupaient ; mais c’était une canonnade engagée à de longues distances et par suite inoffensive. La fin de l’année s’écoula au milieu de ces travaux intérieurs et de ces démonstrations aussi coûteuses qu’inutiles.

L’année 1868 allait au contraire apporter de très grands change-