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REVUE. — CHRONIQUE.

ou, en Amérique, les Montagnes-Rocheuses. Voici que trois membres de l’Alpine club viennent de parcourir le Caucase, région plus anciennement connue de nom, mais en réalité moins étudiée que des montagnes situées beaucoup plus loin.

MM. Freshfield, Tucker et Moore sont des touristes qui ne se trouvent bien que sur les glaciers, et qui traitent avec dédain les timides voyageurs des sentiers battus. Ils se sont familiarisés par une pratique de plusieurs années avec les dangers auxquels s’expose quiconque veut dépasser la ligne des neiges perpétuelles. Pour plus de précautions, ils se sont donné comme compagnon de route un vaillant guide de Chamounix, et ainsi réunis tous les quatre, ayant non moins de vigueur que d’expérience, ils se croient en mesure d’affronter les pics, les glaciers et les cols où de moins adroits ont échoué avant eux.

Les provinces situées au pied du Caucase appartiennent maintenant à la Russie après avoir éprouvé des sorts bien divers. Nul pays n’a de plus antiques annales. Aux temps fabuleux de l’histoire, c’était déjà la Colchide, royaume riche et puissant où Jason alla chercher la toison d’or à la tête de ses Argonautes. Plus anciennement encore, le mythe de Prométhée avait rendu ces contrées célèbres. Ce fut sans doute un des points du globe les premiers habités par les hommes. Cette hypothèse n’a rien que de légitime, car le climat est sain dès que l’on s’écarte du littoral, le sol est fertile ; il s’y trouve, dit-on, des mines d’or, d’argent et de fer, bien que ces produits naturels soient négligés par les habitans du pays. Il est à croire que la fameuse toison d’or n’était autre chose qu’une des peaux de mouton que les montagnards plaçaient en travers des ruisseaux pour recueillir les paillettes d’or charriées par les eaux. Soumises depuis peu sans restriction à la domination russe, ces provinces conservent encore des noms qui éveillent des souvenirs : au nord, la Circassie, fameuse par la beauté de ses habitans, et le Daghestan, dernier refuge du patriote Schamyl ; au sud, la Géorgie, qui partageait avec la Circassie le privilège d’alimenter les harems de l’Orient, l’Iméritie et la Mingrélie, qui furent des royaumes prospères à une certaine époque. Ce fut pendant les années qui suivirent la guerre de Crimée que le tsar fit la conquête définitive des provinces caucasiennes. Le dernier acte de la longue lutte entre les soldats russes et les montagnards fut, on le sait, l’émigration en masse des débris de la population native. Les tribus du sud étaient soumises depuis longtemps, celles du nord résistaient encore. Après une défense opiniâtre, refoulées entre les montagnes et la mer, elles aimèrent mieux s’expatrier que de perdre leur indépendance. En 1866, 350,000 Tcherkesses (c’est le nom véritable des Circassiens) quittèrent le territoire envahi par leurs. agresseurs et se réfugièrent dans les provinces maritimes de la Turquie d’Europe.

Comme topographie et comme histoire naturelle, la région du Cau-