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case présente de nos jours un haut intérêt. Le granit apparaît sur toute la ligne de faîte; plus bas se montrent les roches schisteuses et calcaires. On y rencontre tous les terrains et aussi tous les climats de l’Europe, depuis les neiges perpétuelles, qui se tiennent à 3,800 mètres au-dessus du niveau de la mer, jusqu’aux températures régulières et clémentes du littoral. Ces montagnes forment un massif isolé qui s’étend de la Mer-Noire à la mer Caspienne, borné au nord par les vastes steppes de la province d’Astrakan, et au sud par les hauts plateaux de l’Arménie, au milieu desquels le mont Ararat se dresse à une altitude de plus de 5,000 mètres. La chaîne est coupée en son milieu par un défilé fameux dans l’histoire, c’est la passe de Dariel, les pilæ Caucasiæ des anciens. Hormis cet endroit, qui fut au temps jadis la route suivie par les peuples émigrans d’Asie en Europe, il n’y a que des cols que l’altitude et les difficultés du chemin rendent impraticables à tous autres que les gens du pays. Au pied même des montagnes, du côté de la mer Caspienne, la route est souvent interceptée par les crues des rivières ou par la nature abrupte du terrain, si bien que la petite ville de Derbent, capitale du Daghestan, ne communique guère que par mer avec les contrées voisines. Aussi les Russes ont-ils tracé à travers le défilé de Dariel une bonne route, bien fortifiée, qui est presque leur unique voie de communication entre la Géorgie et le reste de l’empire. Il est assez naturel de considérer, suivant l’usage russe, la ligne de faîte du Caucase comme la limite entre l’Europe et l’Asie. Dans ce cas, les pics les plus élevés, qui appartiennent à des chaînes secondaires, sont situés en Europe, et ce sont sans contredit les points culminans de notre continent. L’Elbruz atteint 5,500 mètres au-dessus du niveau de la mer; le Kasbek, le Dychtau, le Koschtantau, sont entre 4,900 et 5,200, tandis que le Mont-Blanc ne dépasse pas 4,820, Ces belles montagnes couvertes de neige avaient de quoi tenter les vaillans touristes de l’Alpine club, auxquels les excursions banales des Alpes semblent maintenant monotones. Le plus grave obstacle à la réalisation de leurs projets était de ne trouver dans le pays même aucun appui pour une telle entreprise. Les paysans du Caucase n’ont jamais escaladé leurs glaciers; cela se conçoit, ils n’ont aucun intérêt à le faire, et ils ne sont pas encore assez avancés en civilisation pour que la curiosité se soit développée chez eux. Des officiers russes ont levé la carte des provinces caucasiennes sous la conduite du général Chodzko; mais ils n’ont pas eu assez d’habileté ou de persévérance pour faire l’ascension des pics qui paraissaient inaccessibles à première vue, en sorte que les habitans du pays ont pu conserver jusqu’à ce jour la conviction que leurs plus hautes montagnes sont gardées par de mauvais génies qui en interdisent l’accès aux humains.

La partie la plus élevée de la chaîne du Caucase est limitée à un bout par le Kasbek et à l’autre par l’Elbruz; entre ces deux sommets, il y a