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pas de condamnation du chef de sorcellerie ; mais depuis François Ier et surtout depuis Henri II le fléau reparut. Un homme d’une réelle valeur à d’autres égards, mais littéralement fou sur l’article des sorciers, Jean Bodin, communiqua sa folie à toutes les classes de la nation. Son contemporain et disciple Boguet imprime tout au long que la France fourmille de sorciers et de sorcières. « Ils multiplient en terre, dit-il, comme chenilles en nos jardins… Je désireroys qu’ils fussent tous mys en un seul corps pour les faire brusler tout à une fois en un seul feu. » La Savoie, la Flandre, les montagnes du Jura, la Lorraine, le Béarn, la Provence, presque toutes nos provinces virent se consommer d’effroyables hécatombes. Au XVIIe siècle, la fièvre démoniaque se ralentit, mais non sans recrudescences partielles dont le plus souvent des couvens de nonnes hystériques étaient les ardens foyers. Tout le monde connaît les épouvantables histoires des prêtres Gaufridy et Urbain Grandier. En Allemagne, surtout dans la partie méridionale, les supplices de sorciers furent encore plus fréquens. Il est telle insignifiante principauté dans laquelle 242 personnes au moins furent brûlées de l’an 1640 à 1651. Détail qui fait frémir ! on voit dans les actes officiels de ces supplices que, parmi les exécutés, il y eut des enfans d’un à six ans ! En 1697, le juge en sorcellerie Nicolas Remy se vantait d’avoir fait brûler 900 personnes en quinze ans. Il paraît même que c’est aux procès de sorciers que l’Allemagne dut l’introduction de la torture comme moyen juridique ordinaire de découvrir la vérité. M. Roskoff a reproduit un catalogue des exécutions de sorciers et de sorcières dans la ville épiscopale de Wurzbourg en Bavière jusqu’en 1629[1], en tout 31 exécutions, sans compter quelques autres que les auteurs du catalogue n’ont pas regardées comme assez importantes pour être mentionnées. Le nombre des suppliciés, à chacune de ces exécutions, varie de 2 à 7. Beaucoup ne sont indiquées que par un surnom : « la grosse Bossue, » l’Amoureuse, » le Gardien du pont, » la vieille Charcutière, » etc. On y trouve toutes les professions et tous les rangs, des acteurs, des ouvriers, des jongleurs, des filles de la ville et de la campagne, de riches bourgeois, des nobles, des étudians, même des magistrats, ainsi qu’un assez grand nombre de prêtres. Plusieurs sont simplement notés : « un étranger, une étrangère. » Çà et là le rédacteur joint au nom de la personne condamnée son âge et une courte notice. Ainsi nous remarquons parmi les victimes de la vingtième exécution « Babelin, la plus jolie fille de Wurzbourg, » « un étudiant qui savait parler toute sorte de langues, qui était un excellent musicien vocaliter et

  1. En 1659, le nombre des exécutés pour sorcellerie se montait dans ce diocèse à 960 ; l’évêché voisin de Bamberg en avait vu brûler au moins 600.