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instrumentaliter, » « le directeur de l’hôpital, homme fort savant. » On trouve aussi dans ce lugubre catalogue la navrante mention d’enfans brûlés comme sorciers, ici une petite fille de neuf à dix ans avec sa petite sœur, plus jeune encore (leur mère fut brûlée peu après), des garçons de dix et de douze ans, une jeune fille de quinze, deux enfans de l’hôpital, le petit garçon d’un conseiller… La plume tombe des mains quand il faut retracer de pareilles monstruosités. Ceux qui veulent doter la catholicité du dogme de l’infaillibilité des papes entendront-ils, avant d’émettre leur vote, ce que disent devant l’histoire et devant Dieu les cris des pauvres innocens jetés au feu par les bulles pontificales ?

Cependant le XVIIe siècle vit diminuer de plus en plus les procès et surtout les supplices de sorciers. Louis XIV, dans une de ses bonnes heures, adoucit notablement, en 1675, les rigueurs de cette législation spéciale. Encore dut-il essuyer pour cela les remontrances unanimes du parlement de Rouen, qui crut que la société était perdue, si l’on se bornait à condamner les sorciers à la réclusion perpétuelle. Le fait est que la croyance aux sorciers était encore assez répandue pour que de temps à autre, même pendant tout le XVIIIe siècle, il y eût encore des exécutions isolées. L’une des dernières et des plus retentissantes fut celle de la supérieure du cloître d’Unterzell, près de Würzbourg, Renata Sœnger (1749). A Landshut, en Bavière, l’an 1756, on fit encore mourir une jeune fille de treize ans convaincue d’avoir mené un commerce impur avec le diable. Séville en 1781, Glaris en 1783, virent les deux derniers exemples connus de cette fatale démence.


IV

On s’est quelquefois fait une arme contre le christianisme de ces sanglantes horreurs, dues en dernière analyse, disait-on, à une croyance que le christianisme seul avait inoculée à des populations qui l’eussent toujours ignorée sans lui. Ce point de vue est superficiel et pèche par son inexactitude historique. Le premier et vrai coupable, c’est le point de vue dualiste, qui est bien antérieur au christianisme et qui lui a survécu. L’antiquité païenne eut ses nécromans, ses magiciens, ses vieilles stryges, lamiœ et veneficœ, qu’on ne redoutait pas moins que nos sorcières. Nous avons montré que le dualisme est inhérent à toutes les religions de la nature ; que, parvenues à leur développement complet, ces religions aboutissent, comme en Perse, dans l’Inde et même dans les dernières évolutions du paganisme gréco-romain, à une conception éminemment dualiste des forces ou des divinités qui dirigent le cours des choses ; que le Satan juif doit, non son origine personnelle, mais sa