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car les états du sud ont dû, de leur côté, se résigner à subir des sacrifices considérables.

Les conquêtes de l’esprit militaire prussien sur cette société de 40 millions d’âmes[1] s’expliquent sans doute par les passions politiques que le cabinet de Berlin a plus ou moins exploitées ; mais aussi par les précautions qu’il a prises pour faire accepter des peuples annexés ses institutions. Nous avons vu que les corps de l’armée prussienne, excepté celui de la garde, se recrutent exclusivement dans l’intérieur des circonscriptions où ils sont cantonnés. Il en a toujours été ainsi depuis 1807. L’habitant de la Silésie, celui de la Poméranie, celui des bords du Rhin, lorsqu’ils arrivent à l’âge de porter les armes, n’ont pas à s’éloigner beaucoup du centre de leurs affections et de leurs intérêts. Tout en étant sous les drapeaux, ils restent dans leur pays natal, souvent à une bien petite distance de leur foyer ; lorsqu’ils y rentrent pour passer dans la réserve et la landwehr, ils demeurent à proximité des régimens dans les rangs desquels ils sont immatriculés. Ces régimens eux-mêmes changent peu de cadres, et des relations étroites s’établissent, dans la mesure permise par la hiérarchie, entre les soldats et les officiers de tous grades, qui généralement parcourent toute leur carrière active dans le régiment, la brigade, la division, le corps auquel ils appartiennent. Ce qui était vrai de l’armée prussienne avant 1866 ne l’est pas moins de l’armée de la confédération du nord. Sans doute, tous les habitans de l’Allemagne septentrionale et aussi ceux des états du sud doivent subir les conséquences du service militaire obligatoire, sans doute ils doivent supporter des sacrifices d’argent très onéreux ; mais là se bornent les effets du militarisme prussien émergeant sur toute l’Allemagne. Il n’a rien de vexatoire. Si les bourgeois de Brême ou de Hambourg, les montagnards de la Thuringe, les habitans des riantes contrées de Nassau, ont dû accepter la consigne prussienne, porter l’uniforme des soldats du roi Guillaume, prêter serment d’obéissance au généralissime, en somme c’est dans leur pays respectif que les uns et les autres paient leur dette à la patrie commune, et ils n’ont pas à s’éloigner du sol de leur « patrie restreinte. »

Le gouvernement prussien s’est empressé d’appliquer le même système à ses confédérés. Il a laissé tous les avantages d’une individualité distincte au plus modeste contingent du plus faible de ses vassaux. En dehors du droit absolu de direction et de contrôle qu’il a concentré exclusivement entre ses mains, il s’est gardé de poursuivre une uniformité sans profit : il a laissé aux Brêmois, aux

  1. En y comprenant l’Allemagne du sud.