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devait toujours avoir le dernier mot, un pays très ferme quand il s’agit de revendiquer ses libertés et s’arrêtent quand on lui parle de révolutions violentes, c’est là le phénomène absolument nouveau qui s’est produit sous nos yeux. Le pays a voulu la liberté, il n’a pas voulu une révolution : voilà tout le secret de ce qui se passe depuis six mois, voilà ce qui domine la situation, — et en définitive c’est la France qui a eu raison. Est-ce donc que la France ait perdu sa flamme d’autrefois, qu’elle soit devenue sceptique, et qu’elle oublie tout pour s’adonner à ses intérêts matériels ? Eh ! sans doute il y a un peu de cela, et ceux qui ne le voient pas en sont punis par l’impuissance de leurs déclamations.

La France de 1869 n’est point évidemment la France d’il y a quatre-vingts ans ou même d’il y a quarante ans. La France a une antipathie marquée contre toute révolution violente, parce que depuis un demi-siècle les intérêts se sont immensément accrus, parce que les petits propriétaires se sont indéfiniment multipliés, parce qu’au lieu de cinq cent mille porteurs de titres de rente qu’il y avait il y a vingt ans, il y en a aujourd’hui douze cent mille, dont le plus grand nombre est dans les départemens. La France a peu de goût pour les aventures parce qu’elle travaille, parce qu’elle vit de son intelligence et de son industrie, parce que le travail et les intérêts sont les premières victimes des crises publiques ; mais, dans cette antipathie qui s’est manifestée avec une énergie presque imprévue contre les violences révolutionnaires, il y a un sentiment plus élevé. Ce sentiment, c’est que les agitations périodiques qui bouleversent le pays depuis longtemps ont exercé une action profondément démoralisatrice ; elles ont été, selon le mot de M. Royer-Collard, « une grande école d’immoralité. » Elles ont altéré les consciences, obscurci les notions les plus simples, si bien que tout naïvement, sans croire rien dire d’extraordinaire, on parle d’un serment comme de la chose la plus légère ; on se moque de ceux qui seraient capables de le tenir et encore plus de l’ingénuité de ceux qui hésiteraient à le prêter. La France a surtout compris enfin que toutes les révolutions lui avaient promis la liberté, et qu’aucune ne la lui avait donnée d’une manière durable. Chaque crise nouvelle n’a fait qu’ajouter une maille de plus au réseau des despotismes qui l’enveloppent, de telle sorte que nous sommes un peu moins avancés que le premier jour sur quelques points essentiels. La France s’est dit naturellement alors que l’heure était venue de secouer cette tyrannie corruptrice des fatalités de la force révolutionnaire, que la première question était la liberté, que la seule chose qu’elle n’eût point essayée jusqu’ici, c’était une virile et pacifique revendication sans parti-pris de destruction et de renversement. Elle a été peut-être tout d’abord conduite à cette manière d’agir par nécessité ; elle en est venue à s’y attacher par goût et par réflexion, parce qu’elle en a senti la puissance bienfaisante et inévitablement efficace. Voilà ce qui a fait la nouveauté, la force de ce mouvement de 1869,