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l’effet du discours ; on y sent seulement un esprit assez tranchant dans sa netteté, une main faite pour le commandement. Le général Grant parle des questions de reconstitution intérieure avec une équité tranquille, — des finances, de la dette nationale et des devoirs qu’elle impose avec une sérieuse honnêteté, des relations de l’union américaine avec les puissances étrangères d’un l’on suffisamment fier. Il y a particulièrement, au sujet de l’Angleterre et de la vieille affaire de l’Alabama qui n’est pas encore finie, quelques phrases d’une fermeté singulière, attestant la résolution de n’accepter que des arrangemens où les susceptibilités américaines trouveront leur compte. C’est un vieux legs de la guerre de la sécession, et le général Grant en parle de l’accent d’un homme qui tient à sauvegarder l’honneur de cette guerre. Ce que le général Grant dit de la France à propos de quelques difficultés relatives au câble transatlantique n’est pas moins net. Le nouveau président des États-Unis fait tenir à son pays un langage à la hauteur de ses destinées.

Il y a dans ce message une indication d’une tout autre nature qui n’est point sans intérêt pour nous. Chose curieuse ! au moment où tous les protectionistes de France se coalisent et s’agitent contre la liberté commerciale, les États-Unis, dont on a souvent invoqué l’exemple, semblent de leur côté abandonner les tarifs exagérés auxquels ils avaient eu recours il y a quelques années, soit dans une intention fiscale, soit pour favoriser leur industrie nationale ; ils reviennent sur leurs pas. Le général Grant propose de diminuer les droits à l’importation d’une somme de 60 ou 80 millions, en annonçant de nouvelles réductions d’année en année. C’est justement la conclusion à laquelle arrivait il y a quelques mois déjà le commissaire spécial du revenu, M. Wells, qui dans un rapport représentait le tarif Morill comme « nuisible, destructif de l’activité nationale, et ne donnant pas à l’industrie américaine ce stimulant et cette protection qu’on déclare être ses principaux mérites. » Ce sont toujours, on le voit, les mêmes argumens en Amérique et en France. Le gouvernement du général Grant ne propose pas sans doute une brusque révolution ; mais il se met en chemin et procède par des dégrève-mens successifs. Toute la question est de savoir si, au moment où les États-Unis retournent vers la liberté, la France doit revenir vers le régime de la protection commerciale. C’est une lumière de plus dans (les discussions qui vont bientôt s’engager parmi nous. ch. de mazade.


LA CRISE MINISTÉRIELLE À VIENNE.

« Nous sommes toujours au même point, à l’état de douce anarchie, » disait naguère, dans une conversation intime, un homme politique de Vienne. Le mot est d’une piquante justesse, et les événemens de ce mois lui donnent une illustration toute nouvelle. Depuis le commencement de décembre en effet, cette anarchie chronique s’accentue plus