Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retrouvez avec ses élégances et son spirituel papillotage dans Jenny Bell comme dans Marco Spada et la Circassienne. La note restait la même, mais on en avait assez. L’oiseau bleu cependant fredonnait toujours ; on avait beau lui dire : Taisez-vous, vous n’êtes plus couleur du temps ; il n’en dégoisait pas moins bon an mal an sa chansonnette dont personne n’avait l’air de se soucier, lorsque tout à coup parut le Premier jour de bonheur, et voilà le succès qui refleurit par enchantement. Explique qui pourra de telles vicissitudes. Qui sait ? pour en découvrir la vraie raison, peut-être faudrait-il la chercher autre part que dans le mérite même de l’œuvre. L’auteur de la Circassienne et de la Fiancée du roi de Garbe avait passé l’âge où l’on compose ; l’auteur du Premier jour de bonheur était une exception, un phénomène, il avait passé l’âge où l’on meurt.

La curiosité le reprenait à partie, il redevenait à la mode. M. Auber vit briller là de belles heures. Qu’il en jouît tout à son aise, rien de mieux, cependant la sagesse eût voulu qu’on ne renouvelât point l’expérience ; lui surtout, le malicieux et fin sceptique, dont la devise fut toujours : « glisser sans appuyer, » aurait dû se défier du mirage ; c’eût été si facile de ne point faire ce Rêve d’amour, plus facile encore que de l’écrire, et pourtant Dieu sait si tout cela coule de source ! Mais que prouvent ces jolis riens, à quoi riment ces colifichets et ces babioles ? S’agit-il maintenant de restaurer un art qui n’a pas sa raison d’être ? car remarquez que ce n’est plus là l’opéra-comique d’Hérold, l’opéra-comique des grands jours de M. Auber écrivant Fra Diavolo, Haydée ou le Philtre, mais quelque chose d’effacé, je ne sais quel fade et précieux ressouvenir du bon vieux temps. Le Rêve d’amour nous offre à travers les âges comme un écho madrigalesque de la première manière du maître. On dirait que M. Auber aime à se retrouver ce qu’il était au début, lors de la Bergère châtelaine et d’Emma. Sa poétique, on la connaît de longue date : d’abord une pièce amusante, de l’intérêt, des situations plutôt que des caractères, de jolies femmes et de jolis costumes ; puis, brochant sur le tout, une musique point trop méchante, qui se laisse écouter sans en demander davantage. Ce système, dont l’humilité, chez un maître tel que l’auteur de la Muette, trahissait bien aussi quelque ironie à l’endroit du public de son temps, — ce système avec Scribe a produit les chefs-d’œuvre du genre, le Maçon, le domino noir, la Fiancée et tant d’autres. À ce compte, on n’aura jamais assez de reconnaissance pour la mémoire de Scribe ; ce qu’il a fait est beaucoup, mais ce qu’il a fait faire est immense : tout notre théâtre lyrique moderne vient de son initiative ; sans lui, nous n’aurions ni Robert le Diable, ni la Muette, ni les Huguenots, sans lui n’existerait pas ce charmant répertoire d’Auber, que l’Europe nous envie. Scribe était né librettiste : composer des poèmes d’opéras fut sa véritable vocation ; ses qualités comme ses défauts, tout l’y portait. Écrivain médiocre, rimeur pire, il n’avait à