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pu s’élever, par la conception nette de l’existence de l’âme personnelle et immortelle, jusqu’au dogme consolant de la communion des vivans et des morts, il disputa au moins ceux-ci au néant en faisant honorer leur mémoire. Les cérémonies faites par les Chinois devant les tablettes de leurs ancêtres furent, on le sait, l’un des deux points qui donnèrent lieu à ces tristes controverses d’où sortit la ruine des missions catholiques, si florissantes dans le Céleste-Empire pendant le XVIIe siècle et une partie du XVIIIe.

Les dominicains, qui étaient encore à cette époque, au sein de l’église catholique, les défenseurs les plus intolérans d’une étroite orthodoxie, accusèrent les jésuites d’autoriser chez les chrétiens des pratiques qui n’étaient pas seulement politiques et civiles, mais qui, ayant surtout le caractère d’observances religieuses, étaient par là même entachées d’idolâtrie. Alors qu’il eût été certainement possible d’arriver à une interprétation qui, sans rien sacrifier des principes[1], aurait sauvegardé de précieux intérêts, les rivalités personnelles envenimèrent et passionnèrent le débat. Sans parler de la conduite du cardinal de Tournon, dont les procédés « rappelaient l’humeur despotique d’un pacha turc plutôt que l’esprit paternel d’un légat apostolique[2], » sans revenir sur la regrettable indiscrétion de l’évêque de Pékin, qui ralluma des querelles presque assoupies, je dirai, en abritant d’ailleurs mon incompétence derrière un écrivain[3] peu suspect de favoriser ce que le saint-siège a condamné, que, dans cette affaire, où l’église perdit un des plus beaux fleurons de sa couronne, « les jésuites ont fait pour la nation chinoise comme saint Paul pour les Athéniens, comme les pères de l’église pour toute la gentilité, » tandis que les dominicains ont sacrifié l’esprit à la lettre, et porté au christianisme naissant de ces vastes contrées un coup dont il ne s’est plus relevé.

Lorsque l’on parcourt un pays qui a servi de théâtre aux événemens connus de l’histoire, l’imagination y replace volontiers les grands hommes qui y ont vécu, et, mêlant ainsi l’émotion des souvenirs aux charmes de la nature, rend la jouissance du voyageur plus complète et plus vive. Cette satisfaction m’avait manqué dans le Laos, un pays qui n’a pas d’histoire, et elle m’aurait aussi fait défaut sur la terre de Chine, dont j’ignorais les annales, si je n’avais pu reporter ma pensée vers ce temps où une pléiade de religieux héroïques méritaient par leurs travaux la reconnaissance de

  1. Ce qui le prouve, c’est le mandement dans lequel le cardinal Charles-Ambroise de Mezza-Barba, tout en exhortant les missionnaires à l’observation de la bulle de Clément XI, précise et réunit en huit articles les adoucissemens qui y sont contenus.
  2. Rohrbacher, Histoire universelle de l’église catholique, t. XXVI.
  3. Ibidem.