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l’église et du monde savant. En apercevant dans la pagode de Talan ces tablettes des ancêtres, je ne pouvais songer sans amertume qu’elles avaient été l’écueil sur lequel s’étaient brisées tant d’espérances. La curiosité des Chinois interrompit bientôt ces douloureux retours vers le passé. Ceux-ci, nonobstant nos factionnaires, se glissaient par les crevasses des murs quand ils ne pouvaient pas les escalader ; il est vrai qu’en notre qualité de mandarins nous avions le droit d’user du pied et du bâton sans que la populace le trouvât mauvais, et, grâce à ce moyen, les promenades en ville nous furent possibles. Talan, que de piètres fortifications en terre n’avaient pas empêchée de tomber, comme Seumao et Poheul, aux mains des musulmans, avait été moins maltraitée par eux, parce qu’elle n’a pas la même importance commerciale. Les maisons bordent les rues sans que l’on aperçoive de lacunes ; les marchands ouvrent dès le matin leur comptoir, et il y a grande affluence au marché. Là, parmi de nombreux échantillons de races sauvages, certaines femmes ont attiré surtout notre attention. Vêtues d’un costume pittoresque qui faisait admirablement valoir leurs formes vigoureuses autant qu’élégantes, les traits accentués, le nez presque grec, elles formaient un agréable contraste avec la Chinoise pâle, maladive, habillée d’une sorte de sac, et sautillant, les bras écartés, sur deux imperceptibles moignons. Les habitans de Talan n’ont pas laissé cependant d’être profondément atteints par l’effroyable crise que traverse cette partie de l’empire. Les choses nécessaires à la vie y atteignent des prix très élevés, et les pommes de terre, peu estimées des Chinois, sont presque le seul légume accessible aux pauvres. Nos finances n’auraient pas résisté à un long séjour dans cette zone désolée, si nous avions dû tout acheter au prix du pays ; par bonheur, grâce aux rapports excellens que nous entretenions avec les autorités, les cadeaux suffirent amplement à nous nourrir.

Nous étions entrés enfin en pleine saison tempérée, et le mois de novembre se présentait avec les couleurs qu’il arbore dans nos climats. Le ciel gris était un peu pluvieux, le soleil ne perçait plus les nuages, et le thermomètre, à midi, ne dépassait pas 13 degrés centigrades. Cela eût été fort agréable, si nous avions eu les moyens de nous garantir de l’humidité ; mais, couchés sur le carreau des pagodes ouvertes à tous les vents, sans matelas, abrités seulement par une couverture légère, nous souffrions comme souffrent en France les pauvres honteux. Talan est pourtant située fort près du tropique ; mais l’élévation de la vallée au-dessus du niveau de la mer nous valait cette température relativement sévère.

Il y a longtemps qu’on a signalé les immenses richesses minérales renfermées dans les montagnes du Yunan. Autour de Talan,