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montagnes et ces vallées, et contribue à y changer les habitudes et les tendances. C’est la physionomie nouvelle des campagnes de la Toscane que nous nous proposons de décrire, ainsi que les modifications introduites dans la répartition de la propriété, dans les contrats agraires et dans les classes agricoles ; en même temps, cette étude nous fournira l’occasion de montrer l’enchaînement logique et rigoureux des faits économiques et des phénomènes moraux et politiques.


I

La nature a donné à la Toscane l’aspect et le sol le plus variés : nulle contrée n’a moins d’unité et ne présente plus de contrastes sur une plus petite étendue. La haute chaîne des Apennins, qui la domine au nord et à l’est, et qui projette à l’intérieur ses ramifications et ses contre-forts, les mille collines boisées et les vallées étroites qui occupent tout le centre du pays, enfin les vastes plaines qui s’étendent à l’ouest jusqu’à la mer et qui atteignent au sud la frontière romaine, ce sont là trois régions qui semblent n’avoir rien de commun entre elles et qu’on est étonné de trouver si voisines géographiquement, tant elles sont séparées par les productions, les modes d’exploitation, les idées et les mœurs de leurs habitans.

Les cimes des Apennins sont couvertes de neige pendant la plus grande partie de l’année ; les versans supérieurs sont peuplés de pins, de sapins et de mélèzes. Plus bas, viennent d’immenses forêts de trembles, de hêtres et de châtaigniers. Cette dernière essence est d’une grande ressource pour les habitans ; si on la laisse croître en haute futaie, on emploie les troncs comme bois de construction ; on récolte en outre les fruits qui, dans certains districts, forment la base de l’alimentation des montagnards, soit qu’on se contente de les faire bouillir pour les servir sur la table, — ce sont alors les castaneœ molles de Virgile, — soit qu’on les réduise en farine et qu’on en compose cette pâte dense, cuite à l’eau, avisée par tranches et que l’on appelle polenda douce, par opposition à une pâte analogue, faite avec la farine de maïs et nommée polenda jaune. Aménagés en taillis, les châtaigniers fournissent aussi des échalas. Les chênes et les chênes-lièges sont encore un des principaux produits de ces contrées montagneuses ; les glands servent à la nourriture des porcs ; les grands propriétaires en ont des troupeaux immenses, qu’ils laissent vaguer dans les forêts. C’est en effet le régime de la grande propriété qui prévaut dans ces régions élevées. Les biens communaux, en Toscane, sont devenus rares ; ils ont presque tous été aliénés à des époques plus ou moins éloignées, et il n’en est resté d’autre trace que le droit pour les habitans de faire pâturer leurs troupeaux dans la plupart des bois.