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des vallées. Rendu ingénieux par l’expérience, le cultivateur a su conjurer les effets du fléau. Les eaux peuvent être une source de prospérité, si l’on sait les distribuer selon les besoins, utiliser les matières fécondantes dont elles sont chargées, tandis qu’elles sont le plus souvent une cause de ruine, si on les abandonne à la sauvagerie de leur cours. Nul mieux que l’agriculteur de Toscane n’a su se préserver des ravages de ces torrens, les discipliner, les asservir et les convertir en auxiliaires de ses cultures. Il s’est appliqué à contenir leur courant par de fortes murailles maçonnées. Il leur a imprimé une direction en ligne droits, pour que l’impétuosité des eaux ne pût entamer les angles et que les pierres fussent déposées dans le lit même du parcours. Ainsi il préservait ses terres de toute invasion ; mais ce n’était pas assez, il fallait employer à des irrigations bienfaisantes ces eaux jusque-là dévastatrices. Aussi de distance en distance a-t-il ouvert des tranchées, divisées à leur tour en une foule de canaux successifs qui, se ramifiant dans toutes les directions, se subdivisant à l’infini, entourent tous les carrés de terre et en font autant d’îlots. Ces ouvrages sont, pour la plupart, antérieurs aux Médicis, Que de capitaux n’a-t-il pas fallu pour construire cet ensemble si parfait de digues et de rigoles en maçonnerie ! Mais la Toscane était peut-être alors le pays le plus riche d’Europe, et c’est sur la terre que se portaient la plupart des bénéfices que le commerce et l’industrie réunissaient dans les mains des habitans de Florence, de Pise, de Sienne et de bien d’autres villes opulentes.

Aucun pays, si ce n’est la Hollande peut-être, ne porte davantage l’empreinte du travail de l’homme. La nature a fourni ces belles montagnes aux lignes et aux couleurs harmonieuses ; mais ce n’est là qu’un cadre plein de grâce et de charmes. Tout le reste a été transformé par la main de l’agriculteur ; sur toutes ces collines, dans toutes ces vallées, on ne trouve aucune végétation spontanée, native, pittoresque. Toutes les dispositions sont symétriques ; les plantations, les cours d’eau ont une direction et une distribution régulières ; on ne rencontre pas de prairies naturelles, mais seulement des champs découpés en carrés oblongs par les arbres et par les rigoles, de perpétuelles guirlandes de vignes suspendues d’une manière uniforme aux peupliers. Au milieu de ces montagnes, aux courbes et aux formes variées, c’est un singulier contraste que cette répartition géométrique des cultures et des eaux.

Si grands qu’aient été les capitaux confiés ainsi à la terre, l’œuvre du paysan toscan reste néanmoins laborieuse et pénible. Il profite de tous les travaux de ses pères, mais il faut les entretenir et les perfectionner sans cesse. La moindre incurie pourrait amener la ruine de ce merveilleux ensemble d’ouvrages hydrauliques. Telle