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L’OPPOSITION SOUS LES CÉSARS.

l’état quand il les composa. C’était un grand personnage, renommé pour la gravité de sa parole et la sévérité de sa conduite. Ses ouvrages, attendus avec impatience, publiés avec éclat, furent accueillis sans contestation et regardés dès le premier jour comme des chefs-d’œuvre. Loin qu’ils aient nui à sa faveur, on peut être assuré qu’ils l’ont affermie, et que, parmi ses lecteurs les plus assidus et ses admirateurs les plus vifs, on comptait l’empereur et son entourage. Trajan n’y trouvait rien qui pût lui déplaire ; les opinions de Tacite sont franchement monarchiques, il ne les a jamais dissimulées. Il reconnaît, au début de ses Histoires, qu’après Actium « le rétablissement du pouvoir d’un seul fut une des conditions de la paix publique. » Il pense avec Galba « que ce corps immense de l’empire a besoin pour se soutenir et garder son équilibre d’une main qui le dirige. » Même ce gouvernement tempéré et parlementaire formé du mélange des autres, et qui était l’idéal de Cicéron, ne le satisfait pas. « Il est plus facile à louer qu’à établir, dit-il, et, fût-il établi, il ne saurait être durable. » Il se résignait donc au pouvoir absolu, à la condition qu’il fût exercé par un honnête homme. C’est peu de dire qu’il s’y résigne ; il en voit les beaux côtés et les signale. Je me figure que Pline, son ami, si dévoué à Trajan, ne pouvait pourtant s’empêcher de soupirer quand il songeait à l’éclat de l’éloquence ancienne et aux succès des orateurs de la république. Que n’aurait-il pas donné pour vivre en ce temps où l’on gouvernait le peuple par la parole, et où un discours était un événement ! Tacite n’ignore pas ce que le talent oratoire a perdu d’influence depuis qu’Auguste a pacifié le Forum ; mais il sait aussi ce que la sécurité et la paix ont gagné. Ces succès payés de tant de fatigues et de périls, il ne les envie point. Il ne regrette pas le temps « où le peuple, c’est-à-dire les ignorans, pouvait tout. » Il aime mieux un peu moins de gloire et un peu plus de tranquillité. « Puisqu’on ne peut, dit-il, obtenir à la fois une grande renommée et un profond repos, que chacun jouisse des avantages de son siècle sans décrier le siècle où il n’est pas. »

Si nous avions un reproche à lui adresser, ce serait le contraire de celui qu’on lui fait ordinairement. On le trouve violent et hardi ; il nous semble timide. C’était un conservateur zélé qui devait voter au sénat avec les partisans les plus obstinés des anciens usages. À Rome, comme partout, les conservateurs avaient le tort de vouloir tout conserver : toutes les pratiques du passé leur étaient chères, et comme les plus mauvaises étaient naturellement les plus menacées, c’étaient celles aussi qu’ils affectaient de plus respecter. On était sûr d’irriter ces esprits étroits et craintifs dès qu’on proposait quelque réforme utile. Ils essayèrent de s’opposer à Claude lorsqu’il