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rant des mœurs et de l’histoire du Japon. Voici maintenant qu’un ancien ministre plénipotentiaire de la confédération helvétique, M. Aimé Humbert, publie sur ce pays deux volumes de luxe contenant plusieurs centaines de vues, scènes et paysages dus au crayon des meilleurs artistes.

L’auteur a su profiter de sa mission politique pour visiter en détail les villes et les campagnes de la baie de Yeddo ; il connaît même à fond cette dernière cité, ouverte aux agens diplomatiques. Son livre pourrait s’appeler, comme il le dit, « les Japonais peints par eux-mêmes. » Cet empire insulaire du Japon forme, on le sait, une sorte de confédération féodale au sommet de laquelle se trouve le pouvoir sacré du mikado, fils des dieux et empereur héréditaire. Depuis longtemps ce chef surtout théocratique avait remis ou laissé prendre l’administration civile et militaire à un lieutenant-général, le siogoun, ou le taïcoun, comme on l’appelait en Europe. Un des premiers effets de notre ingérence au Japon et du nouveau droit public et international introduit dans ce pays par les traités de commerce a été de dissoudre cette vieille organisation sociale et politique. À la suite d’une révolution intérieure, ce chef exécutif, ce maire du palais, que les rois et les empereurs d’Occident ont tout récemment traité en souverain, a été dépouillé de son pouvoir, et l’abolition du taïcounat a rendu désormais la plénitude de la puissance au véritable chef de l’empire, au mikado. Aujourd’hui l’antique féodalité militaire du Japon, affranchie du monopole commercial que s’arrogeait le taïcoun, semble assez disposée à se transformer en une sorte d’aristocratie marchande ; si cette métamorphose s’accomplissait, les daïmios deviendraient alors, chacun dans sa seigneurie, les agens les plus actifs de la civilisation occidentale. Leur puissance est grande ; quelques-uns, comme les princes de Ksiou, de Nagato, d’Aki, ont de 5 à 8 millions de revenu. Il faut voir dans le livre de M. Humbert la description et le dessin d’un château de daïmio ; rien ne ressemble davantage à nos vieux castels du moyen âge ; mais, pour nous autres Européens, ce n’est pas le daïmio qui nous intéresse le plus au Japon ; nous aimons mieux connaître les mœurs, les idées et le genre de vie de la population moyenne et travailleuse, celle qui sera de plus en plus par le commerce en relation directe avec nous. Les voyageurs sont unanimes pour vanter les excellentes qualités de la classe bourgeoise au Japon ; autant les nobles se montrent défians et revêches, autant celle-ci est sociable, avenante même, avec un fonds remarquable de bonne humeur. Dans ce pays si favorisé de la nature, la vie pour le travailleur est singulièrement douce et facile ; l’effort de la production s’y restreint aux besoins de la consommation locale ; aussi les petits métiers, les industries ambulantes, y sont-ils en grand nombre. L’industrie, dont les procédés sont encore peu compliqués, ne connaît pas les machines, c’est la force hydraulique qui les remplace. Il n’y a pas, du reste, de grandes manufactures