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au Japon, ce qui augmente naturellement la somme de travail qui se peut accomplir en famille autour du foyer domestique, et permet aux femmes de prendre assidûment part à tous les labeurs.

Chaque artisan semble doublé d’un artiste ; l’art s’inspire surtout, comme nous le voyons par les produits japonais importés chez nous, du règne animal et végétal, des fleurs odorantes et des oiseaux chanteurs. La passion favorite du peintre est de reproduire les beaux paysages de son pays, qu’il traite, il est vrai, à sa fantaisie, mariant volontiers les fleurs gigantesques aux arbres nains. Les Japonais s’entendent aussi admirablement à travailler le bronze, la porcelaine, et à fabriquer toute sorte de meubles et d’ustensiles en bois de laque. Quant à la population des campagnes, également laborieuse et intelligente, elle vit, au milieu d’immenses richesses naturelles, dans des conditions économiques excessivement simples. Le paysan ne possède presque rien, une hutte, quelques instrumens de travail, une petite provision de thé, de riz, d’huile et de sel ; tout le reste appartient au maître du sol, au daïmio ; c’est à peu près notre manant du Xe siècle ; sa cabane n’a pour tout mobilier que quelques nattes ; il est vrai qu’une natte, au Japon, représente l’essence même du comfort ; on mange dessus, on y boit, on y cause, on y travaille et on y dort. Une telle demeure est d’ailleurs en parfaite harmonie, avec cette philosophie du néant renfermée dans l’abécédaire qu’on fait épeler aux jeunes Japonais, et dont le sens est celui-ci : « il n’y a rien de permanent dans ce monde ; le présent passe comme un songe, et sa fuite ne cause pas le plus léger trouble. » Remarquons en passant que toute la population adulte du Japon sait lire, écrire et calculer.

La partie la plus neuve du livre de M. Humbert est celle qui a trait à la vie intellectuelle et littéraire des Japonais. Ce peuple est grand amateur de théâtre et de musique. A Kioto, qui est la capitale, la ville où réside le mikado, toutes les « maisons de thé, » — un mot honnête pour désigner un endroit qui souvent ne l’est guère, — résonnent du bruit des chants et du grincement des guitares ; ces divertissemens ne finissent même pas avec le jour ; les quartiers spécialement affectés au plaisir demeurent ouverts toute la nuit. Outre les théâtres populaires, où l’on joue la comédie bourgeoise et l’opéra-féerie, la tragédie classique occupe une scène spéciale à la cour, car là-bas comme chez nous sa majesté a ses comédiens ordinaires. C’est dans les fêtes et les traditions de la religion nationale, le culte antique des Kamis, que le génie musical et dramatique du peuple japonais trouve son aliment principal. Il paraîtrait du reste que l’art au Japon est aujourd’hui en décadence ; le grand siècle littéraire remonte à l’an 200 avant Jésus-Christ, au règne de l’illustre empereur Schi-Hoang-Ti. Depuis cette époque, la littérature, tout au service des mikados, est tombée dans l’ornière de la