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l’évêque de Toulouse, Exupérius, renommé dans le monde catholique pour son courage et sa sainteté, envoyait des aumônes à Théophile. Innocent seul fut inébranlable, confiant dans le bon droit de l’exilé et dans la justice de Dieu.

III.

Les derniers mots de la lettre au pape Innocent : « si je dois être arraché d’ici, » contenaient à l’insu de Chrysostome une prophétie qui ne tarda guère à s’accomplir. Grâce aux précautions dont il connaissait maintenant l’usage, il avait bien passé l’hiver de 406, à ce point que les Arméniens eux-mêmes s’en étonnaient, et le proclamaient presque naturalisé sous leur climat ; mais ses ennemis voyaient avec chagrin ce raffermissement de sa santé, et sa résidence passagère dans Arabissus leur avait révélé qu’il existait pour lui, en Arménie, une prison plus mortelle que Gueuse. Un jour donc qu’il ne s’attendait à rien, il reçut l’avis de sa translation dans ce lieu désolé, avec invitation de faire sans délai ses préparatifs de départ ; on touchait au printemps de 407. Ce fut pour l’exilé comme un coup de foudre, car, s’il n’avait pas à redouter dans cette saison les froids du rocher d’Arabissus qui l’avaient mis naguère à deux doigts de la mort, il avait à craindre l’isolement plus effrayant pour lui que les plus rudes hivers et que la mort même. Il connut en effet bientôt que la mesure inhumaine de son internement était aggravée par des instructions plus inhumaines encore, celles de resserrer le cordon de surveillance qui l’entourait, de supprimer sa correspondance et de décourager par toutes les tracasseries imaginables les visiteurs, qui affluaient vers lui. C’était le froid du tombeau ajouté aux hivers insupportables de la contrée.

Peu de temps après son internement, il reçut une visite à la fois douce et cruelle, que la secrète connivence de ses gardiens laissa passer jusqu’à lui. Le visiteur était un messager d’Olympias, porteur d’une lettre d’elle et choisi parmi ses domestiques. Égaré peut-être dans la montagne, cet homme avait été arrêté et dévalisé par les voleurs, qui l’avaient détenu durant plusieurs jours pour en obtenir une rançon ; il avait été ensuite relâché, les voleurs s’étant dit qu’ils n’avaient guère de rançon à espérer d’un prêtre captif lui-même et mourant de faim. Le serviteur d’Olympias arrivait donc exténué, dépouillé, dans l’état le plus misérable ; mais on lui avait laissé sa lettre. Sa vue attrista Chrysostome, car cet homme avait couru un grand danger, et il gronda sérieusement sa pieuse diaconesse. « Vous avez failli, lui écrivit-il, me rendre cause de la mort d’un homme ; je ne m’en serais jamais consolé. » Et il revenait sur les précautions