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LES MIGRATIONS VÉGÉTALES.

plantes méridionales regagnent une partie du terrain perdu depuis l’époque miocène. Plusieurs d’entre elles s’aventurent jusqu’à la dernière limite où les froids de l’hiver et l’insuffisance des étés leur posent une barrière infranchissable. Dans ces migrations, elles suivent en général le cours des fleuves : ainsi beaucoup d’espèces méditerranéennes remontent le Rhône jusqu’à Lyon[1], d’autres, s’engageant dans la vallée de la Durance, se sont élevées très haut dans les Alpes. La lavande[2] croît encore bien au-delà de Briançon, à 1,500 mètres au-dessus de la mer. J’ai revu suspendus aux rochers qui dominent la ville de Castellane, à 900 mètres au-dessus de la mer, le thym, la cinéraire maritime et le genévrier de Phénicie, que j’avais observés sur tout le pourtour du littoral méditerranéen. Quelques espèces méridionales ont même traversé le bassin du Léman et se sont maintenues dans le Valais, en Suisse[3]. Enfin les plus robustes se sont aventurées jusque dans les bassins du Rhin et de la Seine. Les premières ont trouvé sur les coteaux de l’Alsace[4], les autres dans des localités privilégiées, telles que la forêt de Fontainebleau[5], un climat local assez analogue à celui de leur patrie pour leur permettre de s’y maintenir.

Si les vallées favorisent la propagation des plantes qui s’élèvent des régions chaudes vers des régions plus hautes et par conséquent plus froides, elles produisent aussi des effets inverses. Le botaniste revoit souvent avec étonnement dans la plaine des espèces qui par leur tempérament alpin ne semblent pas devoir s’y trouver; telle est la linaire des Alpes : ses graines, entraînées par les cours d’eau, germent sur le bord des rivières dans une région qui lui est absolument étrangère. D’autres plantes se déplacent en suivant les crêtes et les cols qui unissent entre elles les diverses chaînes de montagnes. Ainsi la chaîne du Jura se rattache aux Alpes par le massif de la Grande-Chartreuse, près de Grenoble ; aussi les sommets les plus élevés du Jura, le Reculet, la Dôle et le Weissenstein, sont-ils couronnés par un certain nombre d’espèces alpines[6]. Un

  1. Clematis flammula, Lavandula vera, Iberis pinnata, Psoralea bituminosa, Leuzea conifera, Helichrysum stœchas, Convolvulus cantabrica, Celtis australis, etc.
  2. Lavandula spica.
  3. Dans le Valais : Clematis recta, Opuntia vulgaris, Xeranthemum inapertum, Santolina chamœcyparissias, Clypeola jonthlaspi, Euphorbia segetalis, Rubia peregrina, Ephedra vulgaris, etc.
  4. En Alsace : Alyssum incanum, Coronilla emerus, Colutea arborescens, Chrysocoma lynosiris, Lactuca saligna, etc.
  5. Dans la forêt de Fontainebleau : Ranunculus chœrophyllos et gramineus, Colute arborescens, Ruscus aculeatus, etc.
  6. Aconilum anthora, Androsace villosa et lactea, Erysimum ochroleucum, Anthyllis montana, etc.