Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/657

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
651
LES MIGRATIONS VÉGÉTALES.

et reviennent vers le nord l’année suivante. Les graines des plantes s’attachent aux pattes et aux plumes de ces oiseaux voyageurs, qui les transportent et les ressèment à de grandes distances de leur point de départ. En fait d’autres causes, je néglige à dessein l’intervention volontaire ou involontaire de l’homme, mais je ne puis passer sous silence la part qui peut revenir aux courans marins dans cette dissémination des graines à la surface du globe. Linné savait déjà que le gulf-stream jette des graines du golfe du Mexique sur les côtes d’Ecosse et de Norvège. J’ai ramassé moi-même une graine de mimeuse grimpante du Mexique[1] parmi les galets du Cap-Nord de la Scandinavie. Cependant cette action est limitée. En effet, la plupart des graines ne surnagent pas, et les autres, au bout de quelques mois de flottaison, ont perdu leurs facultés germinatives. Admettons qu’elles les aient conservées; ne faut-il pas une réunion bien extraordinaire de circonstances favorables pour qu’une graine germe sur la plage lointaine où le courant l’aura jetée? A l’appui de cette thèse, on cite ces attols ou récifs de coraux que des zoophytes microscopiques élèvent pour ainsi dire sous nos yeux dans l’Océan-Pacifique, et qui se peuplent peu à peu de palmiers, de plantes herbacées et d’animaux importés des îles voisines par des agens naturels dont ce peuplement rapide atteste l’efficacité. Pour beaucoup de naturalistes, ces faits ne sont pas concluans; à leurs yeux, les espèces américaines des archipels atlantiques prouvent une ancienne union de l’Europe et de l’Amérique. La science moderne réhabilite l’Atlantide de Platon; Madère, les Canaries, les Açores, représenteraient les sommets de montagnes, seuls encore émergés après l’affaissement de ce continent.

MM. Asa-Gray et Oliver, au contraire, sont frappés du grand nombre de plantes fossiles tertiaires découvertes dans le nord de l’Amérique, le Groenland, l’Islande, le Spitzberg, les îles Aléoutiennes, et pensent que, pendant cette période géologique où le climat était plus chaud que de nos jours, une migration de végétaux a pu s’établir entre l’ancien monde et le nouveau ; de là des affinités inexplicables quand on considère seulement les parties séparées par l’Océan-Atlantique. Des découvertes nouvelles éclairciront ces questions, elles en feront surgir d’autres encore; mais dès aujourd’hui nous pouvons invoquer les idées transformistes de M. Darwin pour expliqua la présence d’espèces semblables, sans être identiques, sur d’s terres fort éloignées l’une de l’autre. Ce sont des espèces dérivées d’un même type, mais qui, placées dans des circonstances différentes, se sont modifiées chacune suivant le mi-

  1. Mimosa scandens ou Entada gigalobium.