quelle rapidité les bourdons réparent leur nid de mousse, quand on l’a ouvert afin d’examiner l’intérieur, ce que les bourdons souffrent beaucoup plus patiemment que les abeilles, et il ajoute : « Si la mousse du dessus a été jetée assez près du pied du nid, — comme on l’y jette sans même songer qu’on doit le faire pour épargner de la peine à ces mouches, — bientôt elles s’occupent à la remettre à sa première place. » — Pour épargner de la peine à ces mouches, comme le XVIIIe siècle sut aimer la nature, et que les choses se font aujourd’hui d’une autre façon ! C’est la bêche à la main que nos entomologistes étudient les fourmilières; un coup de pioche dans le mystère de la demeure souterraine ne coûte rien à leurs fiévreuses recherches, et cependant quel spectacle pour payer un tel vandalisme! Si la pioche met à découvert une demeure de fourmis fauves (formica fusca), on voit sous le dôme un labyrinthe de salles basses, de couloirs, de passages, qui plonge dans la terre et conduit à des loges spacieuses, remplies de nymphes dans leurs cocons ou de larves presque aussi immobiles. Cette fourmi qui va et vient, plus grosse que les autres, est une femelle, car le commun des fourmis, les ouvrières, n’ont pas de sexe : les naturalistes les appellent des neutres. La femelle pond, quelques ouvrières l’entourent, elles prennent les œufs un à un et les mettent en petits tas. Les vers qui en sortiront périraient sans les ouvrières, ils ne savent que lever la tête pour demander à manger; une ouvrière arrive et leur laisse prendre entre ses mandibules les sucs nourrissans qu’elle est allée chercher dans la campagne. Voici l’heure de porter tous ces maillots au soleil : on les monte, on les étale sur le dôme. Si la chaleur est trop vive, s’il pleut, on les rentre aussitôt dans les salles dont la température leur convient. Quand le temps de la métamorphose est venu, la larve s’est filé un cocon; elle ne saurait pas non plus en sortir seule. C’est encore le rôle des ouvrières de la tirer de là : elles coupent la soie, déchirent la coque, dégagent la bête naissante et toute faible, puis les vieux cocons vides sont rangés dans une loge éloignée. Ainsi naissent des mâles, des femelles et des neutres. Les mâles et les femelles s’envolent; quelques femelles reviendront pondre à la fourmilière; les neutres ne la quittent pas. Aussitôt qu’ils ont pris un peu de forces, ils se mettent à tous ces travaux dont ils ont l’instinct : réparation et entretien de la fourmilière au dedans, transport de matériaux utiles, chasse aux pucerons, approvisionnemens de toute sorte au dehors. Certes voilà déjà des instincts bien extraordinaires; mais il en est un surtout, dont il nous reste à parler, spécialement dévolu à certaines espèces et qui est sans contredit le plus élevé de ceux que nous connaissions chez les animaux.
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