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justifier les théories de M. Darwin dans ce qu’elles ont de plus difficile à expliquer, comment se défendre de les accepter tout entières et pour les formes extérieures et pour l’instinct?

Des neutres dans une communauté apportent en naissant une disposition intellectuelle, un penchant spécial. La communauté s’en trouve bien, elle prospère; mais les parens de ces neutres ont produit également des mâles et des femelles qui pourront hériter à leur tour de la propriété de donner naissance à des neutres ayant la même disposition ou le même penchant. Celui-ci devient héréditaire, il se fixe dans la race, c’est dès lors un instinct, et il pourra continuer de se développer ainsi par une sorte d’hérédité collatérale. La source en restera dans les parens sans qu’il soit nécessaire qu’ils l’aient eux-mêmes, absolument comme la raison des grandes cornes des bœufs est dans le taureau et la génisse qui n’en ont que de petites.

Même cette grande objection des neutres écartée, le problème d’expliquer par des conditions naturelles l’architecture des abeilles semblait encore défier toute tentative. Cependant M. Darwin entreprend de le résoudre. Aidé des expériences de son compatriote, M. Waterhouse, il montre que tout ce travail, digne du géomètre le plus exercé, peut être ramené en fin de compte à un certain nombre d’habitudes très simples, prises successivement, en sorte que par un enchaînement de faits, hypothétiques, il est vrai, mais tous parfaitement plausibles et possibles, on arrive à trouver dans les lois biologiques déjà connues l’explication naturelle de cet instinct qui semblait tenir du miracle. On sait de quoi il s’agit. Les alvéoles de l’abeille sont des prismes à six pans d’une régularité parfaite. Le plus intéressant, c’est le fond de l’alvéole : il est formé d’une pyramide creuse à trois pans égaux et disposés de telle façon que chacun contribue pour sa part, de l’autre côté du rayon, à faire le fond d’une alvéole distincte : le fond de chaque alvéole repose ainsi sur trois alvéoles de l’autre face du gâteau. Buffon n’avait pas aperçu cette combinaison, il n’a parlé que du dessin hexagonal régulier de l’ensemble, et à ce sujet il avait eu une idée bizarre. « Les abeilles veulent toutes, disait-il, se faire dans la cire une loge cylindrique, mais la place manque ; sur le rayon trop étroit, chacune cherche à s’arranger de la manière la plus commode pour elle, en même temps que toutes se gênent également. Les cellules ne sont hexagones que par la raison des obstacles réciproques... Pour la même raison, ajoute Buffon, qu’on emplisse un vase avec des pois ou des graines cylindriques, qu’on le ferme exactement après y avoir versé autant d’eau que les intervalles entre ces graines peuvent en recevoir, et qu’on fasse bouillir