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montré si modéré de l’autre côté du Rhin, alors qu’il paraissait si exigeant en France ? La raison de ces différences est dans la constitution toute libérale des universités allemandes.

Ces universités sont de véritables corporations, pareilles aux corporations du moyen âge : elles s’administrent elles-mêmes, possèdent, nomment leur recteur et leur sénat, décident souverainement de toutes les questions relatives à l’enseignement, présentent directement au chef de l’état les candidats aux chaires vacantes, ne sont astreintes à aucun contrôle, à aucune surveillance. En un mot, ce sont des corporations privilégiées, mais libres. L’état n’intervient que pour nommer les professeurs (ce qui n’est qu’une formalité) et pour accorder des subventions ; ici seulement son action est réelle. Point de programmes, point d’inspecteurs, point de conseils académiques, aucune immixtion des bureaux. Aussi, au lieu d’un enseignement officiel nécessairement étroit, l’Allemagne a-t-elle l’enseignement le plus multiple, le plus varié, le plus complet qui se puisse imaginer. Quand un Français entre dans une université allemande, il est tout surpris de ce mouvement, de cette vie, de cette activité, qui contrastent avec le silence et le calme de la plupart de nos facultés. À Berlin, il n’y a pas moins de cent quarante professeurs ou privat-docenten dans les deux facultés de médecine et de philosophie. À Bonn, il y a cinquante-quatre professeurs dans la faculté de philosophie (lettres et sciences) ; à Strasbourg, il n’y en a que onze pour les mêmes facultés. Et partout règne la liberté la plus complète des opinions. L’état se déclare incompétent pour en connaître ; que l’enseignement soit spiritualiste ou matérialiste, qu’il y ait des libres penseurs et même des athées, il ne s’en émeut pas, et il ne vient à l’esprit de personne de lui attribuer une part de responsabilité dans les écarts qui se peuvent produire. Et quand je dis écart, c’est que je ne rencontre pas d’autre mot pour exprimer une pensée toute française ; peut-être n’a-t-il pas de synonyme chez les Allemands : pour eux, les délits d’opinion n’existent pas en matière d’enseignement. Ce qu’un professeur peut faire de plus grave, c’est d’avancer une proposition contestable, qui est immédiatement discutée. Les Allemands n’ont pas la liberté d’enseignement ; ils ont la liberté scientifique, ce qui vaut mieux.

Ce n’est pas tout : en Allemagne, grâce au classement des professeurs en ordinaires, extraordinaires et privat-docenten, il n’est pas un homme, à quelque religion ou à quelque opinion philosophique qu’il appartienne, qui ne soit assuré, s’il est docteur, de pouvoir faire un cours d’enseignement supérieur sur le sujet qu’il aura choisi. Il peut y avoir et il y a souvent dans la même faculté plusieurs professeurs enseignant les mêmes matières dans un esprit tout différent. Les étudians, qui, en Allemagne, paient le maître, choisissent