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LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT.


entre les professeurs. Toutes les opinions sont représentées ; toutes peuvent aspirer à dominer. Ici les protestans sont en majorité, là ce sont les catholiques, ailleurs ce sont les libres penseurs et l’école matérialiste ; mais partout la minorité conserve ses droits et l’espérance de devenir majorité à son tour. Grâce à cette organisation si libérale et si sage, les partis n’ont jamais eu l’idée, en Allemagne, de réclamer une liberté dont ils n’auraient eu que faire. N’étant nullement gênés par le monopole universitaire, ils n’ont pas eu à en demander la suppression. Ils ont porté la rivalité dans les universités déjà existantes, et par la concurrence y ont excité une généreuse et féconde émulation.

En France, rien de semblable : au lieu d’universités ayant une vie propre, indépendantes les unes des autres, se recrutant elles-mêmes et s’ouvrant à tous, nous avons l’Université, qui n’est autre chose que l’état enseignant, imposant ses méthodes, traçant à l’enseignement un cercle dont il ne peut impunément sortir, considérant le professeur comme un fonctionnaire, et la science comme une chose qui se règle. Le gouvernement nomme et révoque les professeurs, fixe le nombre des chaires, astreint les maîtres à se renfermer dans un certain programme, et pour être conséquent avec lui-même, quand ils en sortent, il est forcé de les y faire rentrer ou de les destituer. Il se considère, il ne peut faire autrement, comme responsable des doctrines enseignées, et si dans la pratique il laisse aux membres des facultés la plus entière indépendance, pourvu qu’ils respectent « les dogmes reconnus, la constitution et les lois, » il peut toujours exercer, quand il lui plaît, un droit de surveillance et de contrôle dont il use, selon les circonstances, avec beaucoup de rigueur ou beaucoup de ménagement. Au lieu d’appeler à lui toutes les vocations scientifiques qui se révèlent, il est obligé de faire un choix, de laisser en dehors tout ce qui ne rentre pas dans le cadre officiel, et souvent de se priver du concours des hommes les plus distingués dans les lettres et dans les sciences.

Et comment l’état exerce-t-il sur l’enseignement ce contrôle rendu nécessaire par la fausse idée qu’il se fait de sa responsabilité ? C’est ici qu’apparaît le vice capital de notre organisation universitaire. Pour exercer ce contrôle, l’état a été obligé d’introduire au sein des facultés l’élément administratif ; il a imaginé de créer des provinces universitaires. Il a remplacé les anciennes universités, êtres vivans, par l’académie, cet être abstrait, la réalité par la fiction. À la tête de cette province universitaire, il a mis un recteur, non plus le recteur de nos anciennes universités, ni le recteur allemand, mais un vrai gouverneur de province investi de la haute direction de tout l’enseignement dans les sept ou huit départemens de son ressort. Sous les ordres du recteur, il a placé les inspecteurs d’académie, ses