Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/768

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semble assez difficile à croire. Il est d’ailleurs malaisé de se prononcer. M. Barye excelle à grouper, à trouver des arrangemens, des combinaisons de lignes, de mouvemens, de reliefs, de pleins et de vides, de lumière et d’ombre ; mais il s’est rarement signalé dans les personnages qui doivent rester isolés, témoin la Sainte Clotilde qui se trouve à la Madeleine. Malgré ses dimensions énormes, — elle a huit pieds de haut, — cette femme, dont la parole fut assez puissante pour faire courber la tête du fier Sicambre, ne parle pas plus aux regards et à l’esprit que les figurines d’animaux, sur lesquelles le statuaire lui-même a moins compté pour donner la mesure de son talent. Nous serons bien obligé sans doute de faire ici des exceptions, ne fût-ce qu’en faveur de ce condottiere, ce Cavalier du quinzième siècle, si fièrement campé, si vrai, si simple, si étonnant d’attitude, si expressif ; mais nous devons dire que les morceaux les plus soignés de M. Barye en ce genre n’ont pas répondu à l’attente du public, — par exemple le Charles VI dans la forêt, qui est à peu près de la même époque que le Cavalier. Ce Charles VI, qui prête au drame historique, est un des sujets qu’il a le plus remaniés, et sur lesquels il n’a peut-être pas dit son dernier mot. Ici l’artiste s’est préoccupé surtout du cheval et du personnage du roi, et en effet ils semblent ne faire qu’un seul corps ; le reste devient un accessoire, un hors-d’ œuvre, qu’on voudrait ne pas supprimer, mais qu’on souhaiterait ne pas rencontrer là.

M. Barye rompit avec la tradition. Il fit résolument métier d’anatomiste, tenant le scalpel, demandant au mort et au vif tout ce qu’ils pouvaient lui livrer. Il ne recueillit tout d’abord que le blâme et l’hostilité. On n’envisagea point cet effort comme une tentative généreuse et honorable. Il fut taxé d’outrecuidance. L’art a son intolérance comme la théologie, parce qu’il a aussi ses églises. À tel moment, telle croyance est orthodoxe, telle autre hérésiarque ; nul salut pour ceux qui n’ont pas la même foi que nous et les nôtres. Pour les gens d’un esprit étroit, il y a des systèmes infaillibles qu’il est mauvais d’attaquer, qu’à peine on peut discuter. Il n’en va point ainsi pour ceux en qui le sentiment du beau est largement développé ; mais y en a-t-il beaucoup chez nous qui soient disposés à accueillir plusieurs cultes, à laisser pénétrer plusieurs prêtres dans le panthéon de l’art ? Là où nous n’avons pas été habitués à voir un dieu, nous ne reconnaissons qu’idolâtrie. De notre côté, nous n’entendons point médire de la tradition. C’est par elle que nous avons été dans le passé et que nous serons dans l’avenir ; c’est un lien, mais qu’on n’en fasse pas une lourde chaîne. Une des premières circonstances où l’on s’aperçut que l’artiste s’écartait des sentiers tracés, ce fut à propos d’une petite soupière ! Il y avait là un cerf