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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/781

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près des toits sur la place du Carrousel, au mépris de toute vraisemblance. Deux lions de Barye, dont l’un, à l’ébahissement des badauds, fait si bien un pendant à l’autre, — la similitude a été procurée par des procédés mécaniques, — sont en sentinelle à la porte ménagée sur le quai pour le passage du souverain.

Nous devons encore à M. Barye des travaux que nous ne voulons pas omettre et qui sont exécutés depuis peu. Marseille a eu les modèles de deux groupes d’un effet des plus remarquables. On les a peu vus à Paris ; nous n’en avons eu sous les yeux que des reproductions trop éloignées pour les apprécier avec certitude. Le statuaire lui-même n’en a point de photographie. La photographie ne lui convient point, et il a de bonnes raisons pour cela ; mais combien cependant elle servirait à répandre ses ouvrages ! Puis ce serait le moyen d’échapper plus tard à tant de fausses origines que les marchands attribuent sans scrupule aux objets qu’ils détiennent, et auxquelles tant de collectionneurs se sont laissé prendre. Des peintres soigneux de leur réputation n’ont pas cru inutile, en l’absence de ce procédé d’un usage si prompt, de consacrer leurs veilles à retracer leurs tableaux dans leur livre de vérité. Pour les groupes de Marseille, ces documens ne seraient pas tout à fait superflus. Jusqu’à ce jour, on dénie à l’auteur le droit de les éditer. Il siérait à des hommes tels que M. Barye de faire une fois pour toutes trancher ces questions de propriété spéciale qui n’ont point encore été résolues.

Si nous nous demandons avant de finir quel est le morceau capital de l’œuvre de M. Barye, nous répondrons que c’est celui du Centaure et du Lapithe. Coïncidence qui mérite d’être mise en lumière ! deux artistes de ce siècle, deux artistes éminens, ont tiré dans un genre différent, d’une conception analogue, l’idée-mère de deux des compositions qui leur feront le plus d’honneur. L’un et l’autre se sont inspirés de la lutte entre deux principes opposés. Un peu d’action, et leur drame s’est trouvé tout fait. Or tous les deux ont pris leurs sujets dans la légende hellénique, et voyez comme ils sont appropriés au tempérament du peintre et du statuaire, aux matériaux, aux ressources dont ils disposeront ! Ici les rayons et les ténèbres, ici la forme plus ou moins humaine. On prévoit ce qu’imagineront sur cette donnée de tels metteurs en œuvre.

Eugène Delacroix a représenté dans l’éther radieux la chaleur-lumière, le soleil Apollon luttant, archer divin, contre le serpent et les autres êtres nés de l’obscur et de l’humide. La terre n’est pas vieille encore ; elle enfante sans cesse, pleine de terreurs et de sourires. M. Barye, lui, nous montre dans leur corps tangible, à nu, sans les artifices de la couleur, sans les splendeurs de la mise en