Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/926

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme, la fresque d’Isaïe à Saint-Augustin, et les Sibylles de cette église de Santa-Maria-della-Pace dont Alexandre VII fit aussi reconstruire le portique sous forme semi-circulaire[1] par Pierre de Cortone. C’est à Raphaël encore qu’il eut recours quand il voulut se donner le luxe magnifique d’une chapelle, luxe qui, de tous les privilèges des puissantes familles romaines, est resté le plus aimable et le plus fécond en résultats heureux. Le grand artiste dessina le plan de cette chapelle que l’on voit à Santa-Maria-del-Popolo, et qui est la plus riche de Rome, sinon par la matière, au moins par les œuvres d’art qu’elle contient. L’or et les marbres précieux n’y brillent pas comme dans les chapelles des Corsini à Saint-Jean de Latran et des Borghèse à Sainte-Marie-Majeure; mais le grand tableau qui orne l’autel est un chef-d’œuvre de Sébastien del Piombo, mais des quatre statues qui ornent ses niches, deux sont de beaux ouvrages de Bernin, et une troisième, celle qui porte le nom de Jonas, exécutée par Lorenzetto, fut vraisemblablement conçue et dessinée par Raphaël lui-même.

Ce qui n’est ni pompeux, ni élégant, c’est le bureau de douane où l’on brouette nos bagages au sortir du bateau; toutefois dans cette admirable Italie du midi le grotesque n’est jamais bien loin du sublime, et par un privilège tout particulier, ce contraste, qui en tout autre pays fournirait la plus grinçante des antithèses, n’est ici qu’un charme de plus, et de tous peut-être le plus attachant. Ce bureau de douane où l’on ne trouve ni un tabouret de paille pour s’asseoir, ni une table pour recevoir les bagages, ressemble à un pauvre bureau de police, ou mieux encore à quelqu’une de ces échoppes d’écrivains publics romains ou napolitains que nous voyons dans les gravures italiennes et françaises de la première moitié du XVIIe siècle. C’est une de ces baraques d’où Callot et Salvator Rosa ont fait si souvent sortir le museau de quelque pauvre diable de Scaramouche affamé descendant en ligne directe de l’apothicaire de Roméo et Juliette, et ce Scaramouche ici n’est pas loin-de sa demeure, car en jetant les yeux autour de moi j’aperçois, très reconnaissables, tous les types physiques de la comédie et de la peinture de genre italiennes, avec l’accent si marqué de leurs physionomies. A mesure que j’avance dans la ville, je salue toute sorte d’anciennes connaissances que la littérature et l’art m’ont rendues familières. Ce pêcheur qui, pantalons retroussés jusqu’aux genoux, attend patiemment dans la mer que le flot jette à ses filets quelques misérables granchi et autre fretin écailleux, combien de fois je l’ai vu dans les tableaux de marine inspirés par l’Italie depuis Claude Lorrain jusqu’à

  1. Décidément la forme circulaire porta bonheur à Alexandre VII jusqu’au jour où Louis XIV lui imposa l’adoption de la pyramide. C’est sous le règne de ce pontife que Bernin éleva la magnifique colonnade circulaire de la place Saint-Pierre.