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tour de son œuvre qu’il visite. Tout l’infini s’est comme concentré, localisé, replié dans cette figure, dont l’irrésistible majesté arrache l’adoration et inspire la confiance. Sous un tel père et un tel maître, nulle crainte n’est possible, et spontanément devant ce spectacle on se répète les paroles des antiques croyans : « si je me place sous tes ailes, ô Seigneur, quel ennemi pourra m’atteindre? » C’est ce sentiment d’instinctive sécurité qui semble posséder le jeune Adam nouvellement appelé à la vie. A l’approche de l’Eternel, il a soulevé son beau corps, et, pareil à un jeune roi, sans étonnement ni effroi, il étend le doigt pour recevoir le contact de la main divine. C’est le roi de la terre, et, à voir la tranquille aisance avec laquelle son corps pèse sur elle, on sent que la terre et son roi sont inséparables l’un de l’autre, qu’ils sont les deux parties intégrantes d’un même élément. Une autre pensée admirable se révèle dans cette figure d’Adam : il vient de sortir du néant comme d’un sommeil, et son visage légèrement appesanti porte les marques de ce repos qu’accuse encore la molle attitude de son corps, qui se redresse lentement sous l’action de la vie comme se redressent sous l’action du soleil les fleurs et les rameaux courbés par le poids glacé de la nuit. On pourrait encore faire observer que dans cette fresque Michel-Ange a découvert intuitivement l’électricité bien longtemps avant Galvani et Volta. Dieu fait passer la vie dans Adam absolument selon la méthode par laquelle nous faisons passer un courant électrique dans un corps organisé. L’Éternel étend un doigt pour communiquer l’étincelle, Adam étend un doigt pour la recevoir. Enfin une dernière pensée, la plus extraordinaire de toutes, est exprimée par le groupe des anges qui s’abritent sous le manteau de Dieu, gonflé pour les contenir. Ces anges, c’est l’expression de la puissance de vie infinie qui est en Dieu. Comme ils sont robustes et beaux, et que leurs légions sont épaisses! On peut les compter cependant; mais telle est leur intensité de force, si étroitement ils sont pressés autour du Créateur, que leur nombre paraît incalculable. Fourmillement d’existences en germe, fermentation des forces latentes de l’univers, amas mouvant des semences du monde, entassement des formes en préparation dans l’inépuisable réservoir de l’éternité, voilà ce qu’exprime ce groupe d’anges soutenant le Créateur. Jamais l’art n’enserra dans les synthèses de ses personnifications une idée plus colossale, et ne la traduisit avec une plus écrasante simplicité. Il y a à Rome trois œuvres où cette fécondité du principe caché de la vie a été rendue d’une manière admirable, la statue du Nil au Bracrio nuovo du Vatican, la Galatée de Raphaël à la Farnésine, et enfin cette fresque de la Création à la chapelle Sixtine; mais que les deux premières traductions sont petites, mesquines, triviales à côté de la dernière, si belles qu’elles soient! Le Nil avec ses légions d’enfans