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qui lui courent sur le corps comme les Lilliputiens sur Gulliver ou des pucerons sur une plante, c’est la vulgaire fécondité de la matière, la fécondité d’une boue échauffée par un vigoureux soleil. Plus élevée est la forme de fécondité qu’a exprimée Raphaël dans la fresque de la Farnésine; mais lui non plus n’est pas sorti de la nature. Ce qu’il a montré dans la Galatée, — avec quelle grâce saine et robuste! — c’est l’amoureuse chaleur de l’élément de la mer, le grouillement de vie gras et tiède de ses flots, la force de sensualité qui en émane. Comme cette force de sensualité est admirablement mise en relief par l’ardeur avec laquelle le triton du premier plan embrasse sa vivace néréide! Il semble que cet embrassement ne cessera jamais, tant il est fort. Et la fécondité facile des flots, comme elle est exprimée avec bonheur par ces beaux enfans qui se roulent sur le rivage, où la dernière vague semble les avoir doucement jetés avec les coquillages et les herbes marines! Ce n’est là pourtant que la fécondité païenne des forces créées; au contraire, ce que Michel-Ange a traduit visible aux yeux dans la fresque de la Sixtine, c’est la fécondité des forces incréées, du principe ontologique du monde, l’intensité de vie de l’être métaphysique.

Le quatrième compartiment est consacré à la création de la femme. La figure d’Eve est une des plus profondément poétiques que l’art ait produites. Eve s’élance dans le monde comme une hymne vivante, avec l’attitude qui est essentiellement celle de la nature féminine, l’attitude de la prière, de l’adoration et de l’amour. Elle s’échappe hors d’Adam, et au moment où elle jaillit de sa chair, rencontrant son créateur, le sourire de la tendresse vient à ses lèvres, elle joint les mains et implore. L’Adam et l’Eve de Michel-Ange ne sont pas seulement deux personnages, ce sont les deux prototypes de toute humanité, les deux patinons, en quelque sorte, sur lesquels seront calquées, comme d’innombrables copies, toutes les générations de la race humaine. Ce sont les deux semences de la forêt vivante destinée à couvrir la terre; ils contiennent enveloppés en eux tous les caractères de cette forêt, comme le gland contient en lui le chêne. Par la manière dont il a représenté les deux naissances d’Adam et d’Eve, Michel-Ange a trouvé moyen de faire sentir la différence des matières dont ils furent formés. Adam est tiré d’un limon inerte : aussi sort-il du néant comme d’un sommeil, sans étonnement, mais sans souvenir. Eve est tirée du limon vivant d’Adam : aussi naît-elle toute vibrante, en proie aux plus précieuses émotions de la vie, comme si elle avait été simplement retenue captive par enchantement. La figure de l’Éternel dans cette fresque est, elle aussi, d’une signification profonde. Son regard se fixe sur Eve avec une expression de sévérité voisine de la tristesse. Les douloureuses