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ce qui semble indiquer que le père a moins d’importance ici que les deux autres personnages. Ces compositions, qu’une femme intelligente appelait devant nous les tableaux de genre de Michel-Ange, mériteraient en effet ce titre, si on pouvait n’en pas voir la portée philosophique, car les scènes qu’elles représentent appartiennent à une vie singulièrement humble, populaire, presque basse et triviale. Sous la voûte de leurs bonnets d’évêques, ces trois invariables personnages, le père, la mère, l’enfant, ont l’air d’habiter dans des sortes de catacombes, de sous-sols et de caves ; là, loin des orgueilleux regards, comme perdus au monde et ignorés de tous, ils se présentent dans des attitudes puissamment vulgaires, avec ce sans-façon de la pauvreté qui sait que tout lui est permis, parce que nul ne prendra la peine de lui faire de reproches sur sa négligence. Ici, la mère est accroupie, veillant, soignant l’enfant ou préparant des langes ; là, le père est étendu tout de son long, comme s’il se reposait après un pénible travail. Très diverses, mais toujours populaires, sont les passions qui animent ces personnages. Quelquefois ils paraissent en proie à l’amère tristesse des pauvres gens, d’autres fois ils semblent s’abandonner à la confiance et à l’espoir. Que veulent dire ces scènes répétées avec une insistance qui force l’attention ? Est-ce qu’elles ont, familières comme elles le sont, quelque chose à démêler avec ces colosses d’en haut qui expriment ce qu’il y a de plus grand dans la nature humaine ? Eh ! oui, car ces colosses ne font autre chose que s’en occuper et en parler, quoiqu’ils les ignorent. Pendant qu’en haut se déroule à travers le temps la succession des prophéties, en bas, dans les profondeurs obscures du peuple, nous assistons à la lente formation, à la vie latente, souterraine, invisible du fait annoncé. En haut, les grandes âmes se transmettent d’âge en âge la promesse de la révélation ; en bas, dans la nuit et le silence, comme un fleuve caché qui fait verdir la terre, circule de génération en génération la précieuse semence, le flot de vie d’où doit sortir le salut du monde. Le rédempteur s’avance à travers les âges comme un voyageur qui marche à petites journées. Ces compositions intermédiaires entre les prophètes représentent une famille qui se continue à travers le temps ; cette famille est celle de Jésus, et chacune de ces scènes marque deux des générations qui ont précédé et préparé le Christ. Voilà le sens de cette fameuse énigme qui a fait rêver tant de doctes. Pour qu’on ne s’y trompât point cependant, Michel-Ange avait eu le soin d’écrire au-dessous les noms qui composent la généalogie du Christ.

Le sentiment général qui s’échappe de la Sixtine est d’accord avec la pensée que nous venons de foire apercevoir. Il n’y a pas à s’y méprendre, car ce sentiment général éclate comme un coup de tonnerre qui serait dix fois répété. Cette voûte crie par toutes ses voix