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Aujourd’hui, après tout ce qui a été accompli, un vote n’est plus qu’un acte d’enregistrement presque superflu auquel pouvait suppléer sans contredit l’assentiment visible, éclatant, du pays. Remarquez que, lorsque la question de la dissolution du corps législatif s’est élevée il y a deux mois à peine, on a justement invoqué cette raison qu’il était inutile et dangereux d’agiter la France entière pour une élection nouvelle en présence d’une manifestation toute récente du suffrage universel. Maintenant, ouvrir dans les trente-sept mille communes françaises un scrutin par lequel on demande au peuple s’il veut le régime parlementaire, la responsabilité ministérielle, un sénat constituant ou un sénat législatif, livrer pendant quelques jours toutes les institutions aux débats passionnés des réunions publiques et de la presse, c’est, à ce qu’il paraît, la chose la plus simple du monde ! En lui-même, le plébiscite n’était donc imposé ni par une nécessité politique invincible ni par les circonstances ; mais il a créé un bien autre danger, il a rallumé toutes les discussions. Ce qu’on n’entrevoyait peut-être qu’à demi, et sans en mesurer la gravité, dans un sénatus-consulte, on s’est mis à le regarder de plus près et on s’est trouvé en présence d’une situation sérieusement engagée par les conséquences mêmes qu’on attribue au prochain vote populaire. On a voulu savoir ce que c’était que ce système plébiscitaire qui va entrer dans nos institutions pour y tenir garnison à côté du système parlementaire, et on s’est demandé aussi comment le gouvernement avait pu se laisser conduire à cette extrémité, au risque de se déchirer lui-même avant d’en venir là.

S’il n’y avait en effet devant nous qu’un plébiscite de circonstance, fût-il inopportun, ce ne serait rien ; mais il y a un principe inscrit dans la constitution, restant debout comme une force indépendante, comme une menace. Ce principe d’un droit d’appel au peuple, inhérent à la responsabilité impériale, passe aujourd’hui sans plus de façon d’une constitution autoritaire dans une constitution libérale. Il serait assez difficile., à vrai dire, de savoir ce qu’il peut faire dans le régime nouveau qui s’inaugure et quel rôle peut lui être réservé. Sans doute il ne peut plus avoir le même caractère ni la même portée qu’autrefois, puisque tout est changé, puisqu’il y a maintenant un ministère responsable, sans le concours duquel un acte souverain ne serait plus qu’une résunection dictatoriale. Ce n’est pas moins une étrange anomalie qu’on s’efforce de conserver dans une constitution qui offre tous les moyens réguliers de consulter la nation, au moment même où l’on travaille à fonder le gouvernement du pays par le pays. Ce droit d’appel au peuple, en dehors de toutes les représentations organisées, où a-t-on jamais vu qu’il ait été une fonction naturelle du pouvoir, et qu’il ait rien sauvé ? Dans les circonstances ordinaires, c’est un moyen dont on ne peut pas même se servir parce que ce serait déployer un appareil ridiculement disproportionné avec le résultat qu’on veut atteindre ; dans les circon-