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franchise réciproque. Aujourd’hui il y a la ville du luxe et la ville du travail. L’expérience nous apprend qu’assigner à une classe de la population un quartier qui lui soit propre, c’est une mesure irritante, c’est un stimulant de désordre, c’est presque toujours une marque de mépris, comme l’était l’existence des quartiers des Juifs dans les villes du moyen âge. Écoutons sur ce point un publiciste ouvrier. « Le peuple n’aime pas qu’on le parque. Il en voit l’intention même lorsqu’elle n’existe peut-être pas, et cela lui laisse une impression fâcheuse. Qu’on songe bien d’ailleurs à ceci ; le contraste est incomparablement moins sensible à l’ouvrier incessamment mêlé à la bourgeoisie qu’à l’ouvrier systématiquement tenu à distance d’elle. Il vaut mieux qu’il demeure dans la maison du bourgeois que de demeurer dans la cité ouvrière. Il sera beaucoup moins accessible aux mauvaises pensées, même en passant devant l’appartement du riche pour monter à son humble demeure, qu’en occupant un logement propret dans une cité peuplée exclusivement des gens de sa classe. Qui ne comprend pas cela n’entend vraiment rien aux choses humaines. On peut n’avoir pas songé tout d’abord à ces graves inconvéniens ; mais la réflexion ne peut manquer de leur donner tout leur éloquent relief. Les cités ouvrières n’ont pas réussi heureusement ; mais la transformation de Paris ayant fait refluer forcément la population laborieuse du centre vers les extrémités, on a fait de la capitale deux villes : une riche, une pauvre, celle-ci entourant l’autre. » Ainsi plus nous allons, plus nous voyons que la population ouvrière se sépare et se distingue de la population bourgeoise, il y a entre elles des barrières matérielles de même que des barrières morales, et, pour n’être pas infranchissables, ces barrières n’en choquent pas moins ceux qui croient en souffrir. La révolution de 1789 avait effacé en réalité les distinctions de classes ; mais les mœurs et les nécessités de l’industrie en ont ressuscité l’apparence.

Nos législateurs ont fait cependant bien des efforts pour établir entre les ouvriers et les bourgeois une complète égalité civile et industrielle, et l’on peut dire qu’actuellement il ne subsiste plus aucune trace importante des mesures de précaution, de surveillance et de tutelle que l’ancien régime et le consulat avaient instituées à l’encontre des populations laborieuses. La loi qui défendait les coalitions d’ouvriers a été abolie, l’obligation du livret a été supprimée, l’article 1781, portant que le maître serait cru sur sa parole dans toute contestation relative aux salaires, a disparu de notre code, on s’est ingénié à faire des lois qui permissent aux ouvriers de constituer des sociétés commerciales. Il est difficile de dire qu’il y ait dans la législation française une différence sensible entre le