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une démonstration socialiste pour effet. Le socialisme est donc ordinairement, soit le point de départ, soit le point d’arrivée. Nous n’en voulons pour preuve qu’une coalition de l’été dernier, qui a fait peu de bruit et qui cependant a une grande signification : c’est celle des ovalistes de Lyon. On appelle ovalistes ou moulinières les ouvrières qui font le tirage des fils de soie composant les cocons et qui les assemblent et les tordent pour les rendre plus résistans. Cette tâche a toujours été assez misérablement payée ; pour un travail continu de douze heures, ces pauvres femmes recevaient 1 fr. 50 ou 1 fr. 60 par jour, rémunération souvent réduite par des chômages forcés. Elles se mirent en grève et réclamèrent une diminution de deux heures de travail et un salaire journalier de 2 francs. Elles pouvaient compter sur la sympathie générale, et si l’état de l’industrie l’eût permis, si la concurrence des ouvrières de la Lombardie n’eût pas été trop à craindre, elles auraient obtenu l’objet de leur demande. Déjà les patrons consentaient à la réduction de la journée ; mais, au lieu de conserver le calme qui pouvait seul leur concilier l’appui efficace de l’opinion, les ovalistes rédigèrent un manifeste communiste où elles se qualifiaient de citoyennes et faisaient appel aux patriotes de tous les pays, enfin elles envoyèrent au congrès de Bâle un délégué chargé d’exposer et de défendre leurs aspirations collectivistes. On voit que les mouvemens ouvriers de notre temps aboutissent presque fatalement à une déclaration de socialisme. Il y a en effet, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique, une sorte de loi d’attraction en vertu de laquelle les groupes les moins nombreux et les idées les moins radicales sont violemment attirés par les masses les plus considérables et les idées les plus absolues. Tous les petits courans isolés finissent ainsi par tomber dans cette mer profonde du socialisme.

Il a fallu beaucoup de temps à l’humanité pour reconnaître et respecter l’existence des lois naturelles qui régissent le monde moral comme le monde physique. L’on a cru pendant des siècles que le taux du salaire était quelque chose d’arbitraire que la contrainte pouvait élever ou abaisser selon les fantaisies du plus fort. Il faut bien convenir que, dans les siècles passés, c’est au nom des patrons et pour déprimer la rémunération de l’ouvrier que la force fut le plus souvent employée. En Angleterre de même qu’en France, les magistrats et la loi intervinrent fréquemment pour déterminer un maximum des salaires. C’était là une véritable exploitation que l’ignorance du temps pouvait seule excuser. Après la peste de 1348 notamment, le parlement de Londres établit un maximum pour la rémunération journalière du travailleur, et l’habitude de ces tarifs autoritaires se continua jusqu’au XVIIIe siècle. L’histoire de