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Il est un fait remarquable, c’est que les grèves antérieures à 1848, et dont nous avons étudié le caractère, se produisaient principalement chez les ouvriers appartenant aux petits métiers des villes, comme les tailleurs, les charpentiers, les cordonniers. Il est incontestable que les patrons dans ces corps d’état pouvaient assez facilement supporter la grève quand elle ne se prolongeait pas. L’exercice de ces industries, en effet, n’exige d’ordinaire qu’un capital assez restreint ; d’un autre côté, les commandes et les livraisons n’y sont point soumises aux mêmes conditions d’exactitude rigoureuse qui sont en usage dans la grande industrie. Celle-ci a subi une complète transformation. Autrefois l’outillage était rare et défectueux ; le nombre des machines était faible proportionnellement au nombre des bras, les capitaux engagés dans une entreprise étaient peu considérables. En veut-on des exemples ? Il y avait, à la fin du XVIIIe siècle, quelques grandes manufactures en France : nous avons cité les ateliers de van Robais, qui occupaient près de 1,700 ouvriers. On pourrait mentionner aussi d’importantes verreries, faïenceries, distilleries. Quel était l’outillage de toutes ces fabriques ? Des manèges, des rouages de bois, de grossiers engins ; les bâtimens étaient souvent de simples hangars où les ouvriers étaient pressés les uns contre les autres. L’Encyclopédie nous représente une fabrique d’épingles. L’on y voit un ouvrier qui tourne la roue pendant qu’un autre appointit à la meule un paquet de six épingles ; plus loin, deux autres passent à la filière et amincissent le fil de laiton ; au milieu de l’atelier, des enfans accroupis coupent avec des cisailles les morceaux du fil de métal ; le personnel est nombreux, le matériel est absent. Tout se fait à l’aide de bras ou de menus outils, rien avec le secours des machines. Que l’on compare cette fabrique du XVIIIe siècle avec les manufactures d’épingles ou de clous à Warrington ou à Wolverhampton. Assurément il était alors facile aux industriels de supporter une grève avec si peu de capitaux engagés. Les temps sont bien changés. Sous le premier empire, dans les manufactures de laine, qu’on désignait alors sous le nom de laineries, l’on cardait, l’on peignait, l’on filait à la main ; il n’y avait que les foulons qui fussent mus par l’eau ou par le vent ; les ouvriers étaient entassés dans des ateliers sans air et sans jour et les pieds baignés dans l’eau. Combien sont différentes nos grandes manufactures de Reims ! Il n’y a pas encore trente ans, un industriel des Vosges achetait, pour monter son usine, de vieux métiers qu’il payait aux prix de la ferraille. Que de transformations sous nos yeux mêmes ! Nous avons maintenant les peigneuses Heillmann et Hubner, le métier renvideur, selfacting. Pour faire place à ces nouveaux engins, les flancs de la manufacture doivent se dilater, et les murs s’élever, La part du