capital engagé devient ainsi plus grande de jour en jour ; des fabriques qui occupent le même nombre d’ouvriers qu’autrefois représentent des frais d’établissement deux ou trois fois plus considérables. C’est dire que de plus en plus l’industriel a besoin d’employer ce matériel coûteux pour en retirer l’intérêt et l’amortissement, et qu’il est de moins en moins capable de résister à une longue suspension du travail. Puis il y a des industries spécialement susceptibles, qui ne peuvent supporter le moindre temps d’arrêt : il faut que les hauts-fourneaux restent toujours allumés ; il est nécessaire, dans les mines, que les machines d’épuisement ne cessent pas de fonctionner, sinon ce n’est pas seulement l’intérêt, c’est le capital lui-même qui est perdu pour le patron, pour la société, et nous ajouterons pour l’ouvrier. Il en est des établissemens industriels comme des êtres vivans : ceux qui ont l’organisation la plus simple peuvent supporter longtemps une suspension partielle ou totale des fonctions vitales, comme les animaux hivernans, sans parler de ces insectes que la légende ou la science assure pouvoir revivre après des siècles d’engourdissement ; mais les êtres les plus parfaits et dont l’organisation est compliquée ne peuvent résister à la moindre interruption des fonctions essentielles ; il ne faut qu’un instant d’arrêt pour déterminer leur mort.
Ce ne sont pas seulement les engins de production, ce sont aussi les procédés commerciaux qui se sont transformés. Autrefois chaque manufacturier n’usait guère que de son propre capital. Il commençait par fonder un établissement modeste, et il l’agrandissait peu à peu. Les nécessités industrielles, qui ne permettent plus que la production sur une très grande échelle, ont forcé de recourir au crédit. Il y a peu de manufacturiers qui ne doivent des sommes importantes à des banquiers auxquels ils servent de gros intérêts. Ce sont là de mauvaises conditions pour résister à une suspension de travail un peu prolongée. Aujourd’hui l’on produit de plus en plus sur commande, l’on a des livraisons à effectuer à jour fixe ; les retards entraînent souvent des dommages-intérêts. Conçoit-on les désordres causés par les grèves avec cette nouvelle organisation industrielle et commerciale ? Il faut tenir compte aussi de la concurrence internationale, qui est un fait nouveau. Pendant que l’industrie d’un pays est frappée par une grève, l’industrie similaire de l’étranger en profite pour écouler ses produits, pour supplanter sa rivale et lui enlever ses anciens débouchés. C’est ce qui est arrivé aux constructeurs de machines en Angleterre ; beaucoup de coalitions ouvrières vinrent troubler cette industrie, jadis si prospère ; les constructeurs français en ont profité pour s’emparer de la plupart des marchés d’Europe. Quelquefois, il est vrai, les grèves ont un