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d’être chassés de l’Illinois. Ils n’y restèrent que le temps nécessaire pour jeter les fondemens d’une colonie, et, obligés encore de fuir devant la persécution dont ils étaient l’objet, ils passèrent le Missouri, et ne s’arrêtèrent que dans la grande plaine du Lac-Salé. La ville naissante retomba après leur départ dans un oubli presque complet, dont elle ne fut tirée que par le vote de l’acte du congrès qui décrétait la création de la ligne du Pacifique. Depuis cette époque, elle est devenue un centre de communications, et, bien qu’elle n’ait encore que 16,000 âmes, elle s’accroît d’année en année d’une manière si sûre et si rapide, que sa prospérité justifie jusqu’à un certain point le patriotisme de clocher de ses habitans, qui appellent Chicago l’ancien et Council-Bluffs le nouveau centre des chemins de fer du nord-ouest. En effet, le Chicago et Nord-Ouest, le Council-Bluffs et Sioux-City, le Chicago et Rock-Island, le Burlington et Missouri, le Centre américain, le Saint-Louis, le Chillicothe et Council-Bluffs, enfin l’Union du Pacifique, en tout huit voies ferrées distinctes, aboutissent déjà ou aboutiront sous peu à Council-Bluffs. En vue de ses progrès futurs, la compagnie de l’Union a acheté, dit-on, de vastes terrains dans l’enceinte et dans la banlieue de la cité, qui présente aujourd’hui le même aspect que Chicago avait en 1840. Le chemin du Pacifique, qui s’arrête en ce moment à Omaha, sera conduit jusqu’à Council-Bluffs aussitôt que le pont jeté sur le Missouri sera terminé. En attendant, on traverse le fleuve sur de grands bateaux à vapeur.

Avant de quitter la ligne du Pacifique et de poursuivre le récit de mon voyage jusqu’à New-York, il me reste à dire quelques mots de la valeur commerciale de la grande entreprise que les Américains viennent d’accomplir. Une expérience de quelques années pourra seule décider si, au point de vue purement commercial, la ligne du Pacifique est une bonne ou une mauvaise affaire. Les apologistes de l’œuvre énumèrent complaisamment l’interminable liste de marchandises qui, dans le courant de l’année, s’échangeront entre les villes du Pacifique et celles de l’Atlantique ; s’appuyant sur ce fait, reconnu par les économistes, que les voies de communication créent ou développent rapidement l’industrie sur leur passage, en même temps qu’elles favorisent le peuplement des contrées désertes, ils calculent à l’avance sur un mouvement de passagers tellement considérable qu’à lui seul il suffirait à défrayer l’intérêt du capital employé dans la construction de la ligne. De leur côté, les adversaires du chemin du Pacifique insistent avec force, et non sans d’excellentes raisons, sur ce fait, que la ligne parcourt, dans la plus grande étendue, des déserts où la nature elle-même s’oppose à l’accroissement rapide et considérable de la population. Ils