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d’arbres. Souvent les arbres sont fissurés, et il est possible d’atteindre les larves qui les rongent et de les arracher de leur retraite ; mais les fissures, étant étroites, ne livrent passage qu’à un instrument bien mince. Pour l’aye-aye, l’instrument est son doigt grêle. Avec l’instrument, l’animal ne peut manquer d’avoir à son service des sens, un instinct, une intelligence propres à le conduire au but déterminé. En effet, il a des yeux dont la pupille, extrêmement dilatable, donne largement accès à la pâle lumière du crépuscule ou de la lune, et lui permet d’errer la nuit au milieu des forêts sans la moindre difficulté. Il a des oreilles qui dénotent une grande finesse de l’ouïe, et, à n’en pas douter, il distingue le bruit léger d’une larve occupée à ronger le bois. Il apporte aux nécessités de sa recherche une intelligence surprenante : on peut le voir frapper un tronc ou une branche d’arbre de son ongle, en un mot recourir à la percussion pour reconnaître s’il existe une cavité capable de loger une larve. Doué d’un odorat subtil, l’aye-aye s’assure de la qualité des alimens. Le docteur Vinson, à qui nous devons d’intéressantes observations sur les animaux de l’île de Madagascar, rapporte qu’un aye-aye en captivité ne voulait pas de toutes les larves indistinctement, et les reconnaissait en les flairant. Le curieux mammifère, apparenté aux makis par l’ensemble de ses caractères, possède un système dentaire analogue à celui des rongeurs. Aimant ces fruits du tropique remplis d’une pulpe savoureuse, avec ses puissantes incisives il en entaille la dure enveloppe, introduit son doigt grêle par l’ouverture qu’il a pratiquée, et, approchant sa bouche de l’orifice, il fait couler la substance pulpeuse. Lorsqu’une main est fatiguée, il se sert de l’autre main.

Est-il possible de voir une créature mieux faite pour vivre dans des conditions étroitement déterminées, et dont la singularité des habitudes réponde d’une manière plus complète aux singularités de conformation ? Le célèbre naturaliste de l’Angleterre, M. Richard Owen, auteur d’une belle étude sur le chiromys de Madagascar, a trouvé ici de puissans argumens pour réfuter les idées trop facilement accueillies sur la mutabilité des espèces. Par ses caractères zoologiques, l’aye-aye est un être isolé dans la création ; comme les makis, ses plus proches alliés, il habite des forêts où les insectes fourmillent de tous côtés. Rien ne l’obligerait, pas plus que les animaux du même groupe, à préférer les espèces cachées dans les troncs d’arbres, si une destination propre, en rapport avec des instincts et des organes particuliers, ne lui avait pas été attribuée dès l’origine. Y a-t-il la moindre raison de supposer que l’amincissement d’un doigt des extrémités antérieures se soit produit par un usage forcé chez des individus d’une suite de générations qui n’avaient nul